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Muse : Françoise Dolto, l’avant-gardiste salvatrice

par Elodie Lambion

4 novembre 2023

Derrière des gestes simples que chaque parent effectue instinctivement aujourd’hui se cachent des années de recherches menées par cette femme émérite : Françoise Dolto. Considérant l’enfant comme un être à part entière, elle a posé les jalons de la psychanalyse, celle au service de l’enfant. Une muse avant-gardiste qui aurait célébré ses 115 ans ce 6 novembre.

« Dans un monde de surplus, de pléthore, de biens matériels mal répartis, le seul bien unique, c’est justement l’amour entre les êtres. »

Françoise Dolto

Au cœur d’une famille bourgeoise parisienne, la petite Françoise Marette, seconde fille de la fratrie, naît le 6 novembre 1908. Après avoir allaité l’enfant, Suzanne, la mère, la confie à la nurse chargée de son éducation pendant que le père, Henri, gère l’entreprise familiale.

UNE ENFANCE MEURTRIE

Suite à la négligence de sa nourrice irlandaise, toxicomane et prostituée, licenciée sur-le-champ par ses parents, à 8 mois, Françoise contracte une bronchopneumonie. Elle doit sa guérison à sa mère qui la tient contre elle nuit et jour. Des années plus tard, la psychanalyste déterminera que la cause de cette maladie n’était autre que le sentiment d’abandon provoqué par le départ de celle qui prenait soin d’elle.

Quatrième d’une famille de sept enfants, Françoise se sent rapidement différente de ses aînés. Cette différence, sa mère ne manque jamais une occasion de lui rappeler et fait preuve d’une dureté sans nom envers la petite fille.

Si elle se distingue tant, c’est qu’elle ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce qu’elle entend, notamment à table lorsque les adultes échangent et qu’elle se mure dans le silence. Ils la fascinent et éveillent sa curiosité. Très tôt, elle se questionne sur la mort et est effarée de constater que même les adultes n’ont aucune réponse à lui donner.

UNE CULPABILITÉ INFONDÉE

Le 30 septembre 1920, la mort frappe de plein fouet sa famille : sa sœur Jacqueline décède à l’âge de 18 ans des suites d’un cancer. Cette perte affecte tellement Suzanne que celle-ci accuse Françoise d’être à l’origine de cette disparition brutale. Elle la blâme de ne pas avoir assez prié pour la sauver, lui dit que c’est elle qui aurait dû mourir. Des mots qui poignardent son cœur. Pour apaiser la douleur maternelle, un médecin conseille aux parents de donner vie à un nouvel enfant. Jacques naît le 21 septembre 1922 et c’est Françoise qui prend soin du nouveau-né. Geste fort, véritable élément déclencheur.

UNE ÉMANCIPATION RÉPRIMANDÉE

En 1924, elle n’aspire qu’à une chose : s’émanciper pour quitter le foyer familial qui affecte son équilibre mental. Elle veut obtenir le bac, suivre des études afin de devenir ‘médecin d’éducation’.

Évidemment, sa mère ne l’entend pas de cette oreille : elle ne la réveille pas le jour J, car à ses yeux, une femme diplômée devient immariable. Avec l’aide de son père, celui qui lui tend son premier ouvrage de psychanalyse, elle arrive in extremis, passe le premier bac et s’inscrit en classe de philo au lycée Molière à Paris dans la perspective de passer la suite du bac.

En juin 1925, quand elle obtient celui-ci, sa mère en pleure et refuse catégoriquement qu’elle s’inscrive à l’université. Elle obéit et, pour tuer le temps, s’adonne aux activités proposées aux jeunes filles de son rang.

Quatre ans plus tard, sa mère se résout à ce qu’elle se forme en tant qu’infirmière. Mais c’est la médecine qu’elle veut exercer. Son projet se concrétise lors de la rentrée 1932 grâce à son frère, Philippe, qui en s’inscrivant en faculté de médecine, devient son chaperon.

UNE SUCCESSION DE DÉCLICS

Un an plus tard, ne se supportant plus psychologiquement et physiquement, elle sombre dans la dépression. Suivant les conseils de Philippe ayant suivi une analyse avec René Laforgue, elle se rend chez ce dernier. De 1934 à 1937, à raison de trois fois par semaine, elle parvient à se défaire de cette culpabilité qui l’empêchait d’avancer. Pour elle, c’est une renaissance.

Mais le second déclic, elle le vit lors d’un stage en pédiatrie. Suite à des observations, elle constate l’importance de parler aux nouveaux-nés, de s’adresser à eux comme à des êtres à part entière. Une attitude qui, à l’époque, dérange. De plus, au contact d’enfants appelés ‘dégénérés’, soignés avec des piqures et des cachets, elle prend conscience qu’on passe à côté de l’essentiel. Elle se destine alors à la pédiatrie.

En 1936, elle rencontre Sophie Morgenstern. Cette dernière, ayant mis en place la psychanalyse par le dessin chez l’enfant, lui apprend à analyser les formes et les couleurs utilisées afin d’émettre un diagnostic. ‘Psychanalyse et pédiatrie’, le thème de sa thèse ne fait pas l’unanimité, mais le jour de sa soutenance, elle s’enregistre comme médecin. Dès 1940, elle effectue des consultations gratuites au sein de l’hôpital Trousseau.

À CONTRE-COURANT

Sa vie sentimentale, c’est en 1941 qu’elle bascule. Elle croise le chemin de Boris Dolto, masso-kinésithérapeute, celui qu’elle décrit comme « l’humain le plus intelligent qu’elle ait connu ». Russe, ayant émigré en France pour étudier la médecine, six mois après leur rencontre, ils se marient. « Je n’ai jamais vraiment connu Boris, il a toujours été une surprise pour moi. Je crois que c’est cela le véritable amour », déclare-t-elle.

À 35 ans, elle donne naissance à son premier enfant : Jean-Chrysostome. L’année suivante, à Paris, sous les bombardements, enceinte de son second enfant, en pleine nuit, elle est réveillée par le fétus. Pour le rassurer, elle s’adresse à lui comme à un enfant : c’est une découverte fondamentale pour elle. En 1946, une fille, Catherine, rejoint la famille.

Françoise prend le contre-pied de l’éducation qu’elle a subie en accordant énormément de liberté à ses enfants. Selon elle, il faut écouter leurs désirs, mais il ne faut pas tous les satisfaire. Ses détracteurs se serviront de la carrière artistique de son fils, Carlos, pour remettre en question ses pratiques éducatives.

UN PARLER VRAI QUI TRANSMET

Dans les années 60, elle transmet le fruit de ses observations au plus grand nombre afin d’aider le plus d’enfants possible. Dans la foulée, entre 1976 et 1978, elle participe à l’émission de radio ‘Quand l’enfant paraît’ aux côtés de Jacques Pradel diffusée sur France Inter. Elle réagit aux lettres envoyées en amont par les auditeurs. Un succès fulgurant incompatible avec son métier qui l’encourage à prendre sa retraite en 1979.

La même année, elle ouvre la première ‘Maison Verte’, lieu de socialisation qui reçoit les enfants de moins de 3 ans avec leurs parents.

Celle qui aura milité toute sa vie pour la cause des enfants s’éteint le 25 août 1988 dans son appartement parisien.

BIOGRAPHIE

  • 6 novembre 1908 : naissance à Paris.
  • 1920 : décès de sa soeur aînée, Jacqueline.
  • Septembre 1940 : début de ses consultations à l’hôpital Trousseau.
  • 7 février 1942 : épouse Boris Dolto.
  • 20 février 1943 : naissance de Jean-Chrysostome Dolto, dit Carlos.
  • 1953 : création de la Société française de psychanalyse avec son ami Jacques Lacan.
  • 1976 : début de l’émission radio ‘Quand l’enfant paraît’.
  • 1979 : création de la ‘Maison Verte’, lieu d’accueil et d’écoute des tout-petits.
  • 1985 : parution de son ouvrage emblématique ‘La cause des enfants’.
  • 25 août 1988 : décès à Paris. 

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