#Culture & Évasion | #La bibliothèque de Janette

« Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes »

par Charles Demoulin

5 décembre 2021

Lionel Shriver, publiée ici chez Belfond, utilise Serenata, la narratrice à l’ironie féroce de cet ouvrage, pour s’attaquer, comme elle en a pris l’habitude, à l’inavouable.

Toutes ces choses que l’on n’ose confesser à soi-même et dont elle fait la matière même de son récit. Je pense ici aux sentiments les moins nobles que nous entretenons en nous, à nos mouvements d’âme les plus mesquins, à ces leçons de morale que nous donnons aux autres, à notre peur de vieillir… À bien y regarder, cette Américaine qui habite aujourd’hui à Londres semble avoir fait le serment d’aller dénicher, les unes après les autres, toutes ces choses confinées au plus profond de nous. Sans retenue, elle les expose en pleine lumière, les observant sous toutes leurs coutures avec une précision et une sagacité autant chirurgicale qu’ironique.

Un beau matin, Remington, soixante-quatre ans, pour qui tout effort physique se résume aux quelques pas qui le séparent de sa voiture, annonce à Serenata, son épouse, qu’il va enfin se mettre au sport. Objectif avoué, courir un marathon. C’est vrai qu’il vient d’être congédié et qu’il va désormais avoir du temps pour réaliser son projet. Un projet que son épouse entrevoit toutefois comme une lubie passagère. Mais que nenni ! Que du contraire ! Notre homme persiste et signe. Au grand dam de Serenata qui, depuis toujours, prenait grand soin de son corps, enchaînant exercices physiques, joggings et longues promenades à vélo. Sauf qu’aujourd’hui, percluse d’arthrose, elle a dû remiser au placard tout son matériel sportif. L’obnubilation de son époux va peu à peu éroder leur couple, d’autant plus que Remington, qui a terminé le marathon auquel il participait, s’est maintenant mis en tête de disputer un triathlon. Pour ce faire, il est à présent entraîné par Bambi, une jeune coach sportive qui, par ailleurs, se fait grassement payer. Résultat : Serenata ne voit plus guère son mari. Si ce n’est quand il ramène Bambi et ses copains de club à la maison afin de boire un coup après tous les efforts fournis lors d’entraînements de plus en plus intensifs. Mais dès que tout ce petit monde rentre dans ses pénates, commence alors des règlements de comptes entre époux. Le couple résistera-t-il ?

Un ton acerbe. Une plume trempée dans de l’encre aux âcres parfums d’ironie et de causticité. Lionel Shriver aborde sans complaisance le thème du vieillissement inéluctable et du déclin physique qui s’ensuit. L’occasion aussi de dénoncer ce business juteux inhérent à certains clubs de culturisme et de s’attaquer férocement à ceux et celles qui vouent à leur corps un culte immodéré. Au point de le mettre à mal suite à des excès d’entraînements trop poussés, voire à des privations nutritionnelles.

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