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La méditation de pleine conscience : halte au diktat

par Anne Zavan

12 septembre 2023

Depuis des siècles, la spiritualité orientale invite à se mettre en retrait du monde et à méditer. Il y a environ 50 ans, l’occident a emboité le pas avec le mouvement hippie. Aujourd’hui, la méditation de pleine conscience est devenue un phénomène de société. Ce prodigieux remède aux maux de la vie trépidante ne devient-il pas, pour celles et ceux qui ont du mal à y accéder et à la longue, un principe irritant ?

La méditation de pleine conscience : victime de son succès 

Fin des années 70, le biologiste américain Jon Kabat-Zinn met au point la Mindfulness-Based Stress Reduction, un programme de méditation qui aide les malades à réduire leur stress et à se sentir mieux. La méditation de pleine conscience, reconnue des années plus tard comme une thérapie de complément, est adoubée par les organismes de santé publique. Elle atténue le stress à l’origine de nombreuses maladies chroniques, la sensibilité à la douleur, renforce les défenses immunitaires, prévient les troubles dépressifs ou anxieux et aide à soigner les addictions.

De tels effets sur le bien-être physique et psychologique ont naturellement séduit le grand public et attisé l’appétit de la société de consommation. Des applications de méditation de pleine conscience sont recommandées à longueur de médias ou de réseaux sociaux et une pléthore de coachs proposent leurs ateliers de pratique.

Jusqu’à avoir des opposants. 

Ses détracteurs la nomment Mac Mindfulness, en référence au fast-food. Ils la jugent très éloignée des fondements spirituels de la méditation ou de ses visées thérapeutiques. Ainsi, Ron Purser, un professeur de management américain, également enseignant en méditation bouddhiste, critique cette déferlante.  S’il ne dénigre pas ses bienfaits, il lui reproche d’être instrumentalisée et réduite à un outil superficiel et vénal. Il lui en veut de rendre chacun responsable de ce qui se passe dans son esprit alors que d’autres raisons sociétales et sociales, à la racine du mal-être, ne sont pas traitées.

Méditer en pleine conscience : de la présence, tout simplement

A l’issue d’une longue méditation, le philosophe René Descartes a déclaré : « Je pense, donc je suis. » La méditation de pleine conscience pourrait lui répliquer « René, tu n’es pas seulement ce que tu penses. Tu es aussi ce que tu éprouves. »

Méditer en pleine conscience revient à se poser et à porter attention à l’instant présent. La concentration sur la respiration aide à trouver le calme et évite de se laisser emporter par l’agitation mentale ou d’autres distractions extérieures. Juste observer sans réfléchir ou juger et surtout intervenir.

Christophe André, psychiatre expert en méditation de pleine conscience l’exprime ainsi : « C’est apprendre inlassablement à laisser décanter le tumulte de nos états d’âme et le bavardage de notre esprit. »

Comment muscler son mental afin qu’il soit moins influencé par les désordres de l’esprit ? 3 consignes sont généralement énoncées :

  • S’arrêter pour diriger son attention sur l’instant présent en s’efforçant de ne pas réagir à l’agitation mentale.
  • Atteindre un état mental de silence et de calme pour prendre conscience de ses pensées. Rien ne justifie d’y adhérer ou de les prendre au sérieux car les pensées ne sont pas la réalité. Ce sont des événements mentaux, alimentés, de surcroît, par des schémas inconscients, parfois refoulés.
  • Répondre avec justesse à l’agitation intérieure au lieude réagir de façon automatique. Une réponse est un choix conscient et éclairé, qui aide à vivre plus libre et plus serein.

La gym de l’esprit : être conscient des blocages

Après la théorie, comment se passe la pratique ? Tout le monde peut méditer bien que cela ne soit ni évident, ni sans effort. Cette gymnastique de l’esprit n’a rien à voir avec la relaxation. Au contraire, elle demande de la concentration, sans chercher à atteindre quoi que ce soit. C’est déroutant dans la culture occidentale. Il n’y a ni honte ni problème d’y être imperméable. Ceux qui culpabilisent de rater leur conversion à la zen attitude, ou qui en ont assez d’écouter ses mantras, sont peu entendus dans le flot des louanges.

Voici les 8 griefs les plus courants et les réponses des spécialistes : 

1. Trop abstrait et incompréhensible

C’est vrai qu’il est difficile d’exprimer par des mots ce qui se perçoit par l’expérience. Méditer en pleine conscience demande de laisser être ce qui se présente et de l’éprouver, sans s’en préoccuper. On doit se décider à rester immobile assez longtemps pour que le calme et le silence se fassent progressivement, au fil des séances, à l’intérieur. Cela ne marche pas à tous les coups.

2. Ne pas pouvoir vider sa tête

C’est humain que l’esprit cogite. Il n’y a rien d’autre à faire que de se concentrer sur l’instant présent, souvent par le biais de la respiration. Laisser glisser les pensées, les observer, leur permettre de décanter sans être influencé. Au fur et à mesure, on apprend à créer un espace de calme et de paix intérieure favorable à la prise de conscience et à la réponse.

3. Ne pas savoir pas être zen

La zen attitude des autres est parfois un masque pour faire méditant. Fabrice Midal, Docteur en philosophie, pratique et enseigne la méditation. Auteur du livre « Foutez-vous la paix », il rejette la mode du lâcher-prise et explique que se forcer ne sert à rien et ne marche pas. Il propose une pratique décomplexée  de la méditation : on s’assoie où l’on veut, si on veut, quand on veut et on laisse les pensées arriver. Si elles nous submergent, ce n’est pas grave. Rien à comprendre, rien à juger. Retenter une autre fois. La méditation, pour lui, ne sert pas à se calmer ou à s’améliorer, mais à se laisser tranquille.

4. Avoir peur de l’isolement 

Le risque est faible. Méditer ne produit pas des gens isolés dans leur bulle. Au contraire, si on s’entraîne à être plus attentif à soi-même et conscient de ce qu’on vit, on devrait être plus sensible à autrui. 

5. Manquer de souplesse pour la position du lotus

C’est sûr, au début la méditation est inconfortable. Elle permet de reprendre conscience des sensations corporelles, ignorées ou fuies. Cette immobilité ne doit pas être une contrainte mais la conséquence de la stabilité de l’esprit. Alors, le corps peut bouger s’il en a besoin et prendre la position qui lui va bien (assis sur une chaise par exemple). L’envie de bouger se dissipe avec la pratique.

6. Ne pas avoir le temps

C’est à voir. Christophe André conseille de découper 30 minutes quotidiennes en 3 séances de 10 minutes. Le chercheur Matthieu Killingworth estime que les gens se laissent embarquer par leurs pensées la moitié du temps et cela les rend moins heureux. Alors, il semble que l’on a plus de temps pour méditer qu’on ne le pense…

7. Ne pas se sentir bien

C’est rare et pour la plupart des gens, la méditation est sûre. Avec le recul, elle n’est pas conseillée aux personnes présentant des fragilités psychiques (antécédents traumatiques, anxiété ou troubles de la personnalité). Débuter des méditations de pleine conscience guidées par un professeur expérimenté permet de recevoir de l’aide si nécessaire, ce qu’une application sera incapable de fournir. Et si le mal-être est insupportable, il ne faut surtout pas s’entêter mais consulter.

8. Ne pas être fait pour cela

Pour comprendre le monde, il y a 2 routes. L’intelligence analyse et produit de la réflexion. L’expérience ressent et crée de la conscience. La méditation de pleine conscience prend la voie de l’expérience. Intelligence et expérience se complètent, aucune n’est supérieure à l’autre. Les personnes préférant la voie de l’intelligence auront probablement un accès plus difficile à celle de l’expérience.

La pleine conscience : d’autres voies possibles

Malgré tout, l’approche dogmatique de la méditation de pleine conscience, nourrie à une sorte de béatitude, peut toujours crisper ou laisser de marbre. Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, on peut essayer de séparer la méditation de la pleine conscience. En guise d’analogie, c’est comme la différence entre faire ses gammes et écouter de la musique. Tous les mélomanes ne sont pas concertistes !

Pratiquer la pleine conscience, ou attitude d’attention, n’est pas rien tant les sollicitations et la dispersion permanente fatiguent et entravent le bien-être. Des alternatives moins intimidantes ou rebutantes aident à se ressourcer, à stabiliser le mental et à prendre de la distance avec les tensions intérieures. Elles peuvent même, qui sait, être une future porte d’entrée à la méditation. 

  • Les activités banales de la vie quotidienne : se brosser les dents,  marcher, faire la vaisselle, prendre une douche, cuisiner,  manger deviennent des pratiques méditatives allégées. L’attention portée à la respiration est remplacée par ce que l’on est en train de faire, en laissant les pensées et les émotions aller et venir. Ainsi, 30 minutes de méditation de pleine conscience informelle sont insérables dans une journée, sans lieu, ni temps, ni rituel, ni immobilité.
  • La pratique contemplative : se plonger dans un paysage ou une œuvre permet aux esprits bouillonnants de s’apaiser et de prendre de la distance avec les tumultes du mental. Une bonne manière de se ressourcer et de restaurer le corps et l’esprit. 
  • La présence aux bonnes choses : contrairement aux chats, les humains sont plus centrés sur ce qui leur pose problème que sur ce qui leur procure du bien-être. Il est essentiel d’imprégner l’esprit de ce qui fait du bien et de le savourer longuement, en conscience. Ces séquences de vie aident à endurer les difficultés et les épreuves. Sinon, l’existence serait invivable, pavée d’éclats de verre. On devrait tous les jours essayer de se délecter d’une chose, même ordinaire. L’attention soutenue aux aspects savoureux de la vie peut même transformer le bien-être en bonheur.

La société moderne a fait de la méditation de pleine conscience le nouveau must have, the place to be. Derrière les paillettes ou l’instrument, il y a un message vieux comme le monde : être présent à sa vie pour vivre plus libre et épanoui. A méditer si le cœur vous en dit !

Pour aller plus loin : 

La méditation comme outil psychothérapeutique complémentaire

How capitalism captured the mindfulness industry (article en anglais du journal Le Guardian)

Le temps de méditer Christophe André en collaboration avec France Inter

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