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Joséphine Baker, années folles et sombres d’une femme engagée

par Jane Doe

30 novembre 2021

Joséphine Baker, femme de spectacles, résistante et militante des droits civiques est entrée ce mardi après-midi au Panthéon. Retour sur la vie extraordinaire de celle qui n’était pas qu’une star des années folles.

Chanteuse-danseuse-meneuse de revue, mariée à 13 ans, rejetée dans son pays pour sa couleur de peau, elle s’expatrie en France et devient une artiste de renommée internationale. Résistante durant la Seconde Guerre Mondiale, elle incarne la femme émancipée et se bat pour la cause afro-américaine.

«Depuis que j’ai incarné les sauvages sur scène, j’ai essayé d’être aussi civilisée que possible dans ma vie de tous les jours.»

Jeunesse miséreuse

Freda Joséphine McDonald naît le 3 juin 1906 à Saint-Louis (Missouri). Sa mère, Carrie McDonald est une danseuse métisse noire d’origine amérindienne. Eddie Carson, son père présumé est musicien de rue, à ce point itinérant qu’il abandonne le foyer familial peu de temps après la naissance de sa fille.

Sur fond de ségrégation raciale, l’enfance de Joséphine est miséreuse. Pour subvenir aux besoins de la famille, sa mère la place auprès de «blancs», comme femme de ménage et baby-sitter; avec interdiction absolue d’embrasser ces chères têtes blondes.

À 13 ans, alors qu’elle est serveuse dans un club, elle rencontre le premier de ces quatre maris, Willie Wells. Si leur union ne dure que quelques mois, elle lui permet de s’extraire d’un carcan familial écrasant.

Très tôt passionnée par la danse, elle gagne à 14 ans son premier cachet, au théâtre de Saint-Louis. Elle parcourt alors les États-Unis au sein de troupes de danse, d’abord comme habilleuse, puis comme danseuse.

Emancipation parisienne

Elle est repérée à New York par des producteurs français qui projettent de monter un spectacle musical entièrement noir à Paris. En septembre 1925, elle quitte les États-Unis pour la France.

La première de la «Revue nègre» a lieu le 2 octobre suivant, au théâtre des Champs-Élysées. En ouverture, elle danse une version frénétique de Charleston, une musique encore peu connue en Europe, accompagnée d’un groupe de jazz. Dans le numéro de clôture, «Danse de sauvage», elle exécute une chorégraphie érotique avec un partenaire masculin, Joe Alex.

Avec sa quasi-nudité, ses cheveux courts plaqués, son sourire, ses déhanchements et ses mouvements suggestifs, elle incarne la femme émancipée capable de jouer de son corps et de jouir d’elle-même. L’érotisme, l’exotisme et les rythmes des représentations font sensation et propulsent Joséphine vers la célébrité.

Consécration mondiale

La «Revue nègre» entame une tournée en Europe. Mais Joséphine rompt son contrat, quitte le spectacle à Berlin et retourne à Paris, où elle accepte un rôle principal aux Folies Bergère. Dans ce nouveau spectacle, simplement vêtue d’une jupe de fausses bananes, elle se livre à une danse qui combine comédie et érotisme.

Avec les Folies Bergère, elle débute une tournée européenne (1927), puis mondiale (1928). En 1930, la jeune star se lance alors dans la chanson et dans le cinéma. Elle ouvre aussi sa propre boîte de nuit: « Chez Joséphine ». Elle est alors au sommet de sa gloire.

En 1936, elle retourne à Broadway pour jouer dans une des productions théâtrales du «Ziegfeld Follies». Le spectacle est un flop. Baker rompt son contrat, rentre à Paris, blessée par le racisme dont elle a été victime à New York.

Résistante et agent de renseignement, au service de la France libre

En 1937, elle épouse Jean Lion, un industriel, et acquiert ainsi la nationalité française. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle est recrutée par le contre-espionnage français, en tant qu’agent de renseignement: elle collecte des informations auprès de la haute société parisienne. Et durant ses tournées, elle transmet des messages notés à l’encre invisible sur ses partitions. Elle chante également pour les soldats français, britanniques et américains en Afrique du nord. Pour ses services, elle recevra la Croix de guerre, la Médaille de la résistance et la Légion d’honneur.

Militante engagée pour la cause noire

Dans les années 1950, elle soutient le mouvement afro-américain des droits civiques, écrivant des articles et intervenant dans des manifestations contre le racisme et la ségrégation aux Etats-Unis. En août 1963, elle participe à la Marche vers Washington pour le travail et la liberté, organisée par Martin Luther King.

Malade et endettée

Dans les années 50 à 70, elle continue à se produire. Criblée de dettes, victime d’une crise cardiaque, elle réduit ses spectacles, jusqu’à sa mort d’une attaque cérébrale, en avril 1975.

Anecdotes

-Elle fut la première vedette de spectacles noire en France. En tant que chanteuse, elle a laissé quelques succès, avec notamment la reprise de «La petite tonkinoise» et «J’ai deux amours».

-Ne pouvant avoir d’enfants, elle décide avec son mari de l’époque, le compositeur, chef d’orchestre et violoniste français Jo Bouillon, d’adopter 2 filles et 10 garçons de différentes races et origines, pour prouver que les êtres humains peuvent vivre ensemble.

-Baker, son nom de scène, lui vient de son deuxième mari, William Howard Baker, qu’elle avait épousé à 15 ans, avant de le quitter pour Paris en 1925.

Dates clés

3 juin 1906: naissance à Saint-Louis (Missouri, États-Unis).

25 septembre 1925: arrivée en France.

2 octobre 1925: première de la «Revue nègre».

1926: elle rejoint les Folies Bergère, avec « La Folie du jour », un spectacle qui consacre sa renommée.

1930: débuts en tant que chanteuse et actrice.

1939-1945: elle est recrutée comme agent de renseignements pour la France libre.

À partir des années 50, elle milite activement pour la cause afro-américaine.

12 avril 1975: décès à Paris des suites d’une attaque cérébrale, à l’âge de 68 ans.