par Charles Demoulin
14 janvier 2025
Voici quelques BD dont le graphisme, le choix des coloris, la mise en page, le sujet traité vont sans nul doute vous surprendre quelque peu. Mais cette diversification montre à quel point les scénaristes et les dessinateurs entendent innover, en s’écartant plus que largement de la BD de l’Âge d’Or. Celle d’Hergé, Jacobs, Franquin, Morris, Peyo, Tillieux, Will, Macherot, Martin, Hermann, Comès, Graton, Walthéry, Uderzo, Hubinon… et bien d’autres encore. Des noms qui font rêver, il est vrai !
‘Le rêve du Tchernobog’, de Melody chez Dargaud
Russie, 1921. La guerre civile fait rage. Yuri, un anarchiste cosaque se bat pour l’émancipation sociale et le bonheur universel. Un jour, il est convoqué par Nikita, un chef bolchevique implacable. Les deux hommes se connaissent depuis toujours. Enfant, Yuri a été élevé par la famille de Nikita. Ensemble, ils ont combattu à Kronstadt en 1905. Il y avait aussi une femme entre eux, une certaine Élena.
Mais depuis leurs chemins ont divergé, tout comme leurs convictions politiques. Nikita confie sa mission à Yuri : supprimer la petite Nadya, héritière du régime tsariste et enfermée à bord d’un train blindé. Mais Yuri va se prendre de sympathie pour cette gamine pourtant capricieuse et insupportable. Au point de s’enfuir avec elle afin de lui rendre sa liberté.
Récit profond et poignant qui s’inscrit dans la grande tradition des contes russes et de légendes slaves, cet ouvrage met en scène le Tchernobog, divinité de la nuit, des ténèbres et du Mal. Quant au graphisme qu’utilise Melody, il aussi original que déroutant, se présentant comme un savoureux mélange de BD de chez nous, de mangas et d’animation. C’est vrai que Melody a vécu au Japon, mais qu’elle a aussi œuvré chez Disney TV, ou encore aux studios Mac Guff et Pixar. De quoi comprendre.
‘Père-Lachaise’, présenté par Sébastien Floc’h chez Delcourt
C’est à une visite guidée inédite dans l’un des plus mystérieux et fascinants cimetières au monde qu’un collectif vous invite à le suivre. Entre légendes, personnages étonnants et découvertes de sépultures insolites, vous allez découvrir cet endroit parisien incroyable où défilent chaque année, plus de trois millions de visiteurs.
En fait, ce sera un mystérieux chat noir qui va d’emblée vous prendre en charge dès que vous aurez franchi les grilles de cet endroit devenu mythique. Ainsi, en compagne de ce félin tout de noir vêtu, vous allez apprendre pourquoi les gens embrassent le tombeau d’Oscar Wilde. Ou alors, qui fut la comtesse vampirique Stroganoff ou le pourquoi de l’arbre à chewing-gums près de la sépulture de Jim Morrison.
Plus loin, vous marquerez un temps d’arrêt sur les tombes de Frédéric Chopin, Victor Noir, Sarah Bernhardt, Alfred de Musset, Honoré de Balzac… Tout au long des 134 pages que compte cet ouvrage, certains des secrets les mieux gardés du cimetière du Père-Lachaise vous seront révélés par le truchement de seize dessinateurs pour le moins talentueux.
Il ne vous reste plus désormais qu’à vous plonger dans cet ouvrage à la fois historique, pédagogique et didactique. Et croyez-moi, vous allez aller de surprise en surprise dans ce qui est la première BD qui a décidé de déambuler dans les allées du Père-Lachaise.
‘El Diabolo’, de Lewis Trondheim et Alexis Nesme chez Dupuis
Ça craint sur le galion du capitaine espagnol Santoro. Car ce dernier, dont les réserves sont épuisées, tire un mousse au sort… pour le manger ! Mais le jeune José, inscrit au menu de l’équipage, va heureusement repérer une terre inconnue et s’y échapper. Il y découvre un étrange animal – jaune à taches noires et avec une longue queue… – que Santoro blesse et avec lequel José manque de mourir.
Recueilli par les Indiens Chahutas, le mousse découvre qu’il est lié au Marsupilami, ‘l’esprit de la forêt’. Tous deux vont donc ressentir les souffrances et les émotions l’un de l’autre… Le début d’une relation privilégiée qui sera vite compliquée par la soif d’or du capitaine Santoro, décidé à mettre la main sur le supposé Eldorado des Chahutas.
Nous voilà revenus au temps des conquistadors, mais aussi, et surtout, à la découverte de cette mythique Palombie engendrée par un certain André Franquin. Cette Palombie où régnait le Marsupilami, un animal fantastique à la queue démesurée et capable de tous les exploits.
Si l’histoire basée sur les conquistadors et la recherche du célèbre trésor des Incas n’est pas nouvelle, on s’extasiera sur chacun des dessins d’Alexis Nesme. Un vrai régal. D’autant plus avec ces pleines pages dont il n’est pas avare. Que ce soit les tronches des personnages, les décors, les ambiances, les nuances dans les coloris, tout est soigné jusqu’au moindre détail. Visuellement, c’est un ‘petit bonbon’ à la fois surprenant et original. Franquin aurait adoré !
‘Le temps d’un virus’, de Ralf König chez Glénat
Un jour, un nouveau virus apparaît en Chine. Et alors ? Pas de quoi fouetter un chat. Sacrée erreur ! Quelques mois plus tard, l’Humanité se voit cloîtrée à la maison ! À Cologne, Conrad et Paul n’échapperont pas au confinement. Finis le concours de l’Eurovision, le coiffeur, les virées de séduction et les mariages gay, seul subsiste un triste constat : tandis que les Allemands stockent du P.Q., les Français se ruent sur le vin rouge et les capotes.
La frustration est grande, et bien entendu c’est au printemps que la catastrophe se déclare ! Pile au moment où les hormones de Paul commencent à danser la samba… Alors que faire ? On se téléphone, on philosophe, on tombe amoureux de l’adorable directeur du supermarché, mais toujours dans le respect des règles de distanciation sociale. Vivement que tout ce cirque s’arrête… En attendant, le couple gay le plus célèbre du neuvième art va devoir improviser son quotidien !
Dans cette BD que l’on réservera à des lecteurs et lectrices avertis, Ralf König raconte avec humour et dérision le confinement, en nous plongeant dans celui très drolatique de ses deux plus fameux personnages. Un ouvrage drôle et rafraîchissant, truffé d’anecdotes loufoques et de commentaires pertinents où chacun ou chacune retrouvera une situation vécue lors de cette pandémie… qui semble ne pas finir de durer.
‘À la poursuite de Jack Gilet’, de David Ratte chez Grand Angle
Il faut savoir qu’en ce début de XXe siècle aux États-Unis, Jack Gilet exerce un métier pour le moins peu ordinaire. Il est chargé d’exécuter toute sorte d’animaux jugés coupables lors d’un procès. Un métier moralement usant qui lui vaut moqueries et dédain. Être un ‘bourreau d’animaux’, avouez qu’il y a de quoi se poser des questions.
Ainsi donc, en ces années 1900 et quelques, les hors-la-loi ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Pour autant, pas question qu’un seul criminel échappe à la justice de l’Oncle Sam. C’est pourquoi les tribunaux locaux jugent à tour de bras, chevaux, mulets, taureaux, ours et autres cochons, accusés d’avoir causé des nuisances, gâché des récoltes, ou même provoqué des accidents mortels. Mais comble du grotesque, à l’issue de ces procès surréalistes, nombre de bêtes sont condamnées à la peine capitale.
Et c’est là que Jack Gilet entre en scène. Car c’est bien lui qui est chargé de faire appliquer la sentence suprême. C’est-à-dire de faire passer de vie à trépas les animaux condamnés, et ce selon les procédures très sérieusement prévues par les lois fédérales. Moqué de tous, Jack fait aujourd’hui l’objet d’une terrible vengeance. Alors qu’il vient d’exécuter une chèvre tueuse, Winifred, la propriétaire de cette dernière a décidé de retrouver celui qui, derrière un air absent, est l’un des plus efficaces bourreaux du Nouveau Monde. Et si elle veut le retrouver, c’est tout simplement pour lui mettre une balle dans la tête.
Outre un sujet de récit totalement inédit, David Ratte nous offre un graphisme d’une infinie beauté, sublimé par des coloris d’une incroyable tendresse. Et ce alors que le récit n’a rien d’agréable avec tous ces animaux exécutés de manière plus que difficile. En témoigne la pendaison de ce taureau de quelques centaines de kilos finalement abattu par un spectateur ne pouvant plus supporter de voir souffrir l’animal se débattant au bout de la corde où il était pendu. Mais n’ayez crainte, cet album est une superbe réflexion sur la tendresse et l’humanité à avoir envers les animaux.
‘Aux soirs de grande ardeur’ de Nicolas Puzenat au Lombard
Un été, voilà quelques milliers d’années… À cette époque, les humains ont toujours été nomades, mais les vastes forêts se parsèment peu à peu des premières cités.
Manakor est servante dans un de ces nouveaux mondes, la cité de Miril. Elle brûle pour son maître, le cuisinier Kaal, homme sanguin, qui n’a pas un regard pour elle. Comment le séduire, comment gagner son cœur ? Alors Manakor dialogue avec sa grand-mère. Ou, plus précisément, avec la voix de sa grand-mère qu’elle est la seule à entendre. Une ‘chuchoteuse’ qui lui dicte sa conduite et ne cesse de la rudoyer.
Pendant qu’elle concocte d’étranges philtres d’amour, des fumées noires s’élèvent au loin. Simples brûlis que font les tribus nomades ou premiers signes d’un grand bouleversement à venir ? Contrainte de fuir en compagnie de Kaal, Manakor va se libérer des chaînes qui l’entravent et découvrir ses véritables origines. Et, peut-être, trouver l’amour…
Un récit intelligent, humain, au questionnement intense, et où le mot entraide est souvent mis en exergue. Un conte initiatique où le dessin étonnant et rugueux de Puzenat se marie parfaitement avec la narration.
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