par Salomé Jeko
10 juin 2025
Quand les discriminations s’additionnent, les risques d’exclusion se multiplient: cela s’appelle l’intersectionnalité et constitue le message de la dernière campagne de Handicap International Luxembourg. Pour en parler, Marwa Almbaed, activiste syrienne engagée pour les droits des personnes handicapées, était en visite au Luxembourg. Janette s’est entretenue avec elle.
Marwa, vous êtes originaire de Syrie. Quelle était votre vie avant d’être victime d’un accident dont vous êtes ressortie paralysée des membres inférieurs?
Je suis née à Damas, en Syrie, en 1991. Lorsque la guerre a éclaté, j’avais 19 ans. J’étais étudiante, je m’intéressais à la mode, au design et à l’art, et je suivais également des cours de marketing à l’université. J’ai choisi de m’engager comme bénévole pour venir en aide aux réfugiés qui affluaient à Damas depuis d’autres villes. Je les aidais à trouver un abri et des vêtements chauds pour l’hiver. Je m’occupais aussi des enfants en leur faisant un peu d’enseignement, puisque les écoles avaient fermé. J’animais en parallèle des ateliers sur la paix et la résolution des conflits. J’ai poursuivi cet engagement jusqu’à mes 24 ans. Jusqu’au jour où, en voiture avec ma famille, tout a basculé : en une fraction de seconde, des bombardements et des tirs ont éclaté autour de nous.
Que s’est-il passé à ce moment-là?
Mon père a perdu le contrôle du véhicule et nous avons eu un accident. Moi, je dormais. J’ai ouvert les yeux en entendant des cris et j’ai alors vu que tout le monde se précipitait vers notre voiture. J’ai réalisé que je ne sentais plus mes jambes et que je ne pouvais plus les contrôler. C’était très difficile, parce que je ne comprenais pas ce qui s’était passé, je pensais comme ma famille que c’était peut-être parce que j’étais en état de choc. Je n’avais pas du tout conscience que j’allais être paralysée. D’ailleurs, durant deux ans, personne en Syrie n’a voulu me dire que j’étais paralysée. Les médecins avaient peur de me déprimer parce que j’étais jeune, alors personne ne m’a rien dit.
C’est le lendemain de votre arrivée en Allemagne que vous comprenez…
Effectivement, je me suis exilée en Allemagne, je suis allée à l’hôpital et c’est là que le médecin m’a dit que non, je ne pourrais plus jamais marcher.
Dans ce nouveau pays, vous vous reconstruisez en apprenant notamment à vivre avec votre handicap jusqu’à décider, grâce à lui finalement, de devenir vous-même ergothérapeute.
Quand j’étais en Syrie, j’étais dans un hôpital, entourée de jeunes qui avaient perdu un bras ou une jambe ou qui étaient paralysés à cause de la guerre. Aucun d’entre eux, ni même moi à l’époque, n’a appris à faire quoi que ce soit seul. J’avais toujours deux personnes pour m’aider. C’était si difficile… Et puis, après ça, quand je suis arrivée en Allemagne, j’ai été dans un centre de rééducation pendant quatre semaines. Là-bas, j’ai tout appris par moi-même, de A à Z. C’était comme passer de rien à tout. À ce moment-là, j’ai compris à quel point ce besoin d’aide était si énorme et que c’était important de pouvoir en bénéficier et de ne pas rester dans le noir. J’ai donc choisi d’étudier l’ergothérapie. J’ai encore un an d’études à faire avant d’être diplômée.
À côté de vos cours, vous défendez les droits des personnes handicapées et rencontrez des responsables politiques internationaux pour leur rappeler l’importance d’un monde accessible. Quel message souhaitez-vous faire passer?
Chaque personne a le droit à une vie normale et à une bonne vie. Je sais exactement ce que signifie marcher, et je sais exactement ce que signifie aujourd’hui ne plus pouvoir marcher. J’ai eu la chance de venir en Allemagne et d’avoir une bonne vie, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Nous devons aider tout le monde à avoir accès au minimum pour pouvoir vivre correctement. Or on ne réalise pas toujours que les personnes handicapées ont parfois des difficultés à profiter de la vie quotidienne, que ce soit en Allemagne ou au Luxembourg.
C’est-à-dire?
Il devrait être évident que si un lieu est ouvert au public, alors il doit l’être pour tout le monde — pas seulement pour les personnes valides. Pourtant, dans des endroits aussi courants que les cinémas, les magasins, les bars ou les restaurants, les toilettes accessibles sont souvent inexistantes ou se trouvent à un étage inférieur, sans ascenseur. Par exemple, je ne peux même pas aller à la salle de sport près de chez moi, car les sanitaires ne sont pas adaptés. Ce sont des situations que je vis constamment. Et honnêtement, ce n’est pas agréable d’avoir à le répéter sans cesse. J’ai parfois l’impression que, peu importe la bonne volonté des gens, ils ne comprennent pas que tout cela devrait être normal. Pourquoi devrais-je encore et toujours revendiquer des droits qui, pour d’autres, vont de soi ?
Vous intervenez aussi dans de nombreuses conférences pour parler de la guerre et de votre vécu, représentant la voix des millions de civils qui souffrent des conséquences de la guerre.
Oui, j’essaie d’animer des ateliers sur la consolidation de la paix et je travaille aussi avec Handicap International pour parler de la guerre, de ce qu’elle signifie exactement, de ce que nous pouvons faire et comment l’éviter. Même si nous ne sommes pas en mesure de contrôler la guerre, nous pouvons tout de même aider. C’est ce que j’essaie de faire en ce moment.
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