#Rencontres | #Janette, toujours au fait

Janette rencontre Anna Vassileva, un premier roman comme un avertissement

par Paule Kiénert

10 mars 2025

C’est chez elle, à Bonnevoie, que nous rencontrons Anna Vassileva. « Sang sommeil » est son premier roman. Pourtant, dans son bureau- bibliothèque, la jeune autrice nous reçoit comme si elle avait fait cela toute sa vie ! Aussi pétillante que déterminée, elle livre une dystopie qui donne à réfléchir sur l’avenir de notre civilisation…

Vous vivez au Grand-Duché. Quelles sont vos origines ?

Je suis née en Bulgarie où j’ai vécu jusqu’à mes 7 ans. Je suis arrivée avec mes parents et ma soeur dans les Ardennes belges et mon premier job a été au Luxembourg. J’ai eu un coup de coeur pour le pays, qui dure depuis plus de 15 ans.

D’où vient votre goût pour l’écriture ? A quand remonte-t-il ?

Il me vient de la lecture, une passion qui m’a été transmise par mon professeur de français vers l’âge de 14 ans. Je me souviens même de mon premier coup de coeur littéraire, c’était Sébastien Japrisot. Je lis plus d’une centaine de livres par an. Vous pouvez d’ailleurs suivre mes lectures grâce au compte Instagram que j’ai créé : 1livre3mots. Je décris un ouvrage en trois mots et publie un extrait.

« Sang sommeil » est-il votre premier manuscrit ?

Oui, il n’y a pas eu d’autres essais ! J’ai été possédée par l’envie d’écrire ce premier roman.

Quand avez-vous décidé de vous lancer dans l’écriture de ce roman ?

Après avoir travaillé 15 ans dans le conseil, j’ai d’abord eu envie de changer de métier. Je voulais qu’il se rapproche de ma passion, la lecture. Mais il est difficile de vivre de lecture ! J’ai alors eu l’idée d’une application littéraire. Mais avant de me lancer, j’ai voulu découvrir le monde de l’entrepreneuriat. J’ai eu la chance de travailler deux ans à temps partiel chez Zeilt Studio, un studio d’animation qui a eu un Oscar. Mon objectif était donc d’avoir le temps de lancer mon application et de voir si le monde de l’entrepreneuriat me plaisait. Au contact des créatifs de cette chouette entreprise, j’ai pris le temps de lire des ouvrages sur des sujets tels que la santé, la longévité, les romans dystopiques féministes… Et pendant une nuit d’insomnie, un mix de toutes mes lectures a dû s’opérer et je me suis réveillée en me posant une question : « qu’est ce qui se passerait si l’humanité subissait une pandémie d’insomnies et si une entreprise profitait de la situation pour nous rendre presque esclaves d’une technologie ? » J’ai pris mon stylo – j’ai toujours un journal à côté de moi qui me permet de prendre des notes quand je me réveille la nuit – et j’ai écrit le premier chapitre d’une traite. Ensuite, c’était comme une idée obsédante que j’ai dû dérouler.

Combien de temps vous a pris l’aboutissement de ce premier ouvrage ?

Tout le projet, jusqu’au mot fin a duré environ un an. La phase de recherche – intense ! – s’est étalée sur six mois. J’ai lu beaucoup de livres, d’articles scientifiques. Et l’écriture, qui était plus rapide que ce que je pensais, a duré également six mois. Au préalable, j’avais élaboré un plan structuré, pour me rassurer. Sur base de ce plan, j’avais mis en place une routine pour écrire au moins un chapitre par jour.

Vous avez choisi l’auto-édition. Est-ce un parcours compliqué ?

J’ai fait deux choses en parallèle. J’adore apprendre donc j’ai lu plein de choses sur les maisons d’édition et j’ai compris qu’elles répondraient au plus vite sous trois mois et qu’être auto-éditée n’empêchait pas d’attendre une réponse d’une maison d’édition. Et ce qui m’intéressait vraiment, c’était d’avoir des retours des lecteurs. Ce serait un rêve d’être éditée par une maison d’édition, mais mon livre étant déjà sorti, je peux déjà bénéficier de plein de chouettes retours, donc ça reste un espoir, mais plus une nécessité !

Comment avez-vous concilié la réalisation de ce premier roman avec votre vie professionnelle et de maman ?

J’étais donc à temps partiel chez Zeilt Studio pendant toute la phase de recherche. J’ai ensuite quitté ce poste pour ne faire qu’écrire. C’est vraiment un projet auquel j’ai réfléchi et j’ai voulu me donner du temps pour l’écriture du livre. Mon fils va avoir 13 ans et il sait se gérer tout seul, mais ça me permettait aussi d’être plus flexible pour lui. Je peux travailler quand je veux. Maintenant, en phase de promotion du livre, je continue à rester disponible pour continuer tout le processus.

Quel accueil a été réservé à votre roman ?

Le livre est sorti fin décembre 2024. Avant qu’il soit publié, j’ai fait un club de lecture pour la famille et les amis. Les retours étaient très positifs, mais on a toujours un doute lorsqu’il s’agit de proches ! À présent, je reçois des retours d’inconnus qui restent positifs. On me dit que livre fait penser à un épisode de « Black mirror », que les personnages sont touchants. On me dit également que cela se sent qu’il y a eu de nombreuses recherches pour imaginer ce monde. C’est important pour moi que cela puisse apparaitre aux yeux des lecteurs.

Pouvez-vous parler du sujet de votre livre à nos lectrices ?

En 2047, une pandémie d’insomnie frappe l’hémisphère nord. Les humains ne peuvent plus dormir et meurent au bout de quelque temps. Une entreprise trouve une solution pour résoudre cette pandémie mortelle : les Somnibulles, des casques du sommeil. Le CEO de cette entreprise va alors avoir un pouvoir énorme sur l’humanité et en profiter pour lui donner la trajectoire qu’il veut. Mon héroïne se retrouve à travailler pour cette société, car son enfant est atteint par la maladie et elle va aider à développer les Somnibulles et se rendre compte peu à peu de ce qui ne fonctionne pas dans cette nouvelle société.

Que souhaitez-vous dénoncer ?

C’est une projection de mes peurs, notamment en tant que maman. Les technologies nous entourent. On est de plus en plus connectés. Nos montres nous donnent notre « fitness age », on se met la pression pour s’auto-analyser et être en forme. Et que font les sociétés de ces données ? Au final, c’est un paradoxe. Sous prétexte qu’on va améliorer notre condition physique, on devient esclave de nos technologies. Bryan Johnson met 2 millions par an pour se mesurer et connaitre l’âge de tous ses organes. Son but est d’arriver à l’âge de 18 ans, et de ne jamais mourir. M’est venue aussi la question : qui va payer pour la santé dans les prochaines années. Les gens vivent de plus en plus âgés, les plus jeunes aussi deviennent friands de médecine prédictive. Cela a un coût aussi. La santé risque de se privatiser. Et on pourrait alors arriver à une obligation de bonne santé sous peine de ne pas recevoir de salaire, de ne pas avoir de travail, d’assurance… Je voulais aussi, dans ce livre, tirer une sonnette d’alarme pour dire que tout commence à être monnayé, même nos rêves. On donne nos données mais dans quel but ?

Cette vision du futur est sombre. L’êtes-vous vous-même? 

Rires. Je suis très positive, mais en même temps, j’ai certaines peurs. C’est pour cela que les dystopies sont vraiment le style littéraire que je préfère, car elles sont un récit qui nous projette dans une société dans laquelle les pires dérives du monde actuel se sont produites. Pour moi, une dystopie est la meilleure façon d’empêcher que les choses arrivent. L’écriture et la lecture sont alors comme une résistance pour que le monde décrit n’arrive pas.

Finalement, c’est un message d’espoir ?

Oui. C’est vraiment un point de vigilance pour que nous protégions, par exemple, les neuro-droits – il y a de plus en plus d’outils qui traitent le sommeil, qui essaient de modifier nos rêves ou de nous faire faire des rêves lucides. C’est aussi un point de vigilance pour toutes les données qu’on livre à des Big Tech. D’ailleurs, le gouvernement dans cette société que je décris est un gouvernement représenté par des Big Tech et des technocrates… Un technolibéralisme autoritaire qui pourrait déferler sur l’Europe si l’on n’est pas vigilant et si l’on ne protège pas nos droits de santé.

Où vous voyez-vous en 2054 ?

Rires. Bonne question ! Pas dans ce monde-là, j’espère! Dans ce monde, pour voir des arbres, il faut aller dans un musée. Je me vois toujours en train d’écrire et de lire plein de livres sans être contrôlée par une technologie.

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Oui, j’ai des idées, des sujets qui me tiennent à coeur. Mais rien n’est encore structuré. Je suis encore concentrée sur « Sang Sommeil ». Le sujet est tellement d’actualité et le roman est très visuel. Je suis en train de me dire : pourquoi pas une bédé ? Ou pourquoi pas rencontrer des personnes qui seraient tentées d’en faire un scénario. Je vois déjà les images. Alors vraiment, pourquoi pas une adaptation ? J’aime rêver ! J’ai vraiment envie d’arriver au bout de mon projet avec « Sang Sommeil » qui, je pense, n’est pas du tout fini.

Espérez-vous en vivre ?

Oui, mais cela semble impossible. Enfin sauf si on s’appelle Stephen King ou J.K. Rowling, il est difficile d’en vivre. C’est pour cela que je pense toujours à d’autres projets, comme l’application littéraire. Je réfléchis à comment vivre de la passion liée aux livres. Et il n’y a pas qu’une seule façon, je pense. En tant que jeune autrice, il me faut trouver d’autres idées et les déve- lopper pour pouvoir en vivre.

Quel message aimeriez-vous faire passer à nos lectrices ? 

Oser ! Se jeter dans le vide. Ça fait tellement peur. Ça m’a donné des insomnies, mais qui ont donné lieu à cette histoire. Un mal pour un bien ! Sauter le pas serait mon conseil pour celles qui ont des projets. Et si ça ne fonctionne pas comme espéré, on peut continuer à faire ce qu’on faisait avant. S’organiser est la clef, financièrement aussi. J’ai fait 15 ans dans le conseil pour me mettre en sécurité et pouvoir faire cette pause et me consacrer à ma passion. La pause peut être temporaire, pour essayer. Mais je trouve que la vie est trop courte et quand on sent qu’on n’est pas alignée avec ses valeurs ou ses passions, il faut y aller. J’ai la chance d’être bien entourée aussi, j’ai été encouragée par mon chéri. L’entourage est clef également.

Pourquoi acheter votre livre ?

Tout d’abord, pour passer un bon moment. Même s’il s’agit d’une dystopie, donc d’un avenir assez sombre, il y a des notes d’humour et de tendresse entre Vanila et son fils – j’ai projeté l’amour infini que j’ai pour mon fils. Aussi, c’est un sujet d’actualité qui permet de se poser les bonnes questions sur les technologies. En ce moment, plein de régimes autoritaires se mettent en place. Si l’on n’est pas vigilant, toutes ces choses risquent d’arriver dans un avenir plus proche que 2050. « Sang Sommeil » est un appel à résister à un monde où tout, même nos rêves, devient une marchandise ou un outil de contrôle. Et la version liseuse n’est qu’à 3,99 €.

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