par Charles Demoulin
9 février 2025
Pas de répit chez les éditeurs avec, chaque jour, un lot assez copieux de nouveautés. Pas vraiment de quoi nous plaindre puisque, de la sorte, nous avons largement de la matière pour cette rubrique qui tente de vous aider au mieux dans l’orientation de vos choix.
‘Le meilleur est à venir’, de Patricia Hespel chez Academia
Un octogénaire épris de son assistante de vie plus que parfaite. Une mamie qui cumule les matchs amoureux. Un gamin qui propose ses briquets à des passants indifférents. Un accro de la webcam prêt à tout pour exister sur le net. Une psy éternellement compétente et disponible… Voici quelques-uns des personnages qui peuplent les quinze nouvelles que compte cet excellent recueil.
Dans un futur pas si lointain, la technologie est devenue omniprésente. Elle a remodelé en profondeur les esprits et les comportements. Si certains en souffrent et se rebellent, d’autres s’en accommodent ou s’en réjouissent…
Entre tendresse, ironie et noirceur, cet ouvrage se joue de la réalité et pousse le curseur jusqu’à l’absurde pour explorer la frontière ténue entre progrès et dérive. Un miroir dystopique qui invite au questionnement : jusqu’où le progrès est-il bénéfique ? Pouvons-nous échapper à ses effets pervers ? Le meilleur est-il vraiment à venir ?
Je suis certain qu’à la lecture de ces différentes nouvelles, nombre de lectrices ou lecteurs repenseront à l’une ou l’autre situation pareillement vécue, les obligeant parfois à un long questionnement.
‘La saison du silence’, de Claire Mathot chez Actes Sud
À C…, minuscule bourg niché au pied d’une colline, vit une communauté quasi autarcique, dont les membres sont exclusivement définis par leur métier, leur occupation.
Alors que l’extrême hiver approche et qu’il ne sera bientôt plus possible de traverser le fleuve, l’arrivée inattendue d’un étranger vient troubler les habitants déjà préoccupés par leur survie jusqu’au moment du dégel. Les voyageurs sont rares par ici et les places limitées. Cette irruption ne peut être qu’un mauvais présage…
Quand on découvre que l’homme a vécu à C… autrefois, le malaise s’amplifie. Pourquoi a-t-il choisi de revenir ? Va-t-il demander une destitution, revendiquer la charge d’un autre et l’affronter dans un combat à mort ? Sinon, quelles sont ses intentions ?
Dans un futur rural et immobile étrangement familier, Claire Mathot signe un conte fascinant sur notre incapacité grandissante à voir, à penser à l’autre et à l’ailleurs, mais également sur l’irrésistible appel de la liberté. Entre le mauvais rêve et la comptine, ce premier roman sculpté dans la légende d’un langage perdu s’impose comme un tour de force.
Une véritable surprise que ce conte campagnard qui mixe savamment les mots sagesse, malice, amitié et amour afin d’arriver à conquérir la liberté.
‘La hchouma’, de Dounia Hadni chez Albin Michel
« Sois polie, sois jolie, ne ris pas trop fort juste un peu, tiens-toi bien, ne bois pas trop, mais un peu quand même, cache-toi pour manger c’est ramadan. Démaquille-toi pour avoir l’air pâle, attends montre ? Mais tu ne ressembles à rien, maquille-toi. Fais voir tes belles jambes baisse les stores, fais comme si tu étais pieuse comme si tu aimais faire l’amour. Comme si tu n’étais pas toi. »
Écartelée entre des dictats contradictoires visant à faire d’elle ‘une bonne Marocaine’ et ‘une vraie Parisienne’, une jeune femme se débat et lutte pour sa liberté.
En arabe, la hchouma signifie la honte. Et la façon dont Dounia Hadni élabore son récit, au départ de ce mot, est aussi déroutante, bouleversante qu’atypique. Reste que c’est tout simplement brillamment fait. Un premier roman coup de poing qui donne grandement à réfléchir. Un roman à lire obligatoirement par toutes celles qui sont avides de liberté, mais qui, pour diverses raisons, sont empêchées de déployer leurs ailes.
‘L’homme camouflage’, de Jose Andō chez fayard
Tokyo. 2018. Dans un Japon gangréné par l’homophobie, le narrateur, métis africain sans histoire et sans nom, épuise sa solitude au hasard d’une backroom de la mégapole. Un moyen comme un autre de croiser Ibuki, blackmix et homosexuel comme lui, avec lequel il a noué une relation opaque, faite de silences et de rencontres à la dérobée.
Mais quand on retrouve le corps de son amant dans l’une des cabines d’un sex club, les questions se bousculent. Qui a laissé Ibuki à demi mort, lardé d’entailles et souillé d’excréments ? Pourquoi ? Surtout : comment retrouver la trace du coupable dans un demi-monde obsédé par l’anonymat ?Désir, peur, exclusion, violence : ‘L’Homme Camouflage’ est un roman d’un noir vibrant et un état des lieux sans concessions du racisme et de l’homophobie nippons, vus par les yeux de leurs premières victimes.
Un roman aux frontières du polar qui s’attache à nous décrire une société japonaise où racisme et homophobie sont plus que largement ancrés dans l’esprit de tout un chacun… bien pensant.
‘Dernière folie’, d’Anne Duvivier chez M.E.O.
Et pourquoi pas un habitat communautaire entre vieux copains ? À cette proposition d’Hervé, Maureen a réagi au quart de tour. Se retrouver avec Ludivine, Claire, Philippe, Odette et toute la bande ! Refaire le monde, cuisiner, rire, déconner, coucher même avec l’un ou l’autre, éventuellement se préparer à mourir parce qu’il le faut bien, mais pas tout de suite, waouw !
Elle n’allait peut-être pas crever seule et abandonnée de tous… Elle lui a sauté au cou, avant de se raviser : Faudrait d’abord faire un test, commencer par une semaine tous ensemble. C’est qu’ils n’ont plus vingt ans, mais soixante bien sonnés. La vie les a ballottés dans des directions diverses.
Arriveront-ils à recréer la complicité qui les liait à l’époque de Swamiji, le gourou fantasque de leurs jeunes années ? Surtout lorsque des rancœurs et des souffrances restées secrètes jusque-là leur éclateront au visage ?
À lire sans modération, car c’est tellement vrai de réalité lorsqu’on veut analyser de près les états d’âme des séniors.
‘Femme vie liberté’, de Mortaza Behboudi avec Martine Courtade au Rocher
Depuis la mort de Mahsa Amini, survenu le 16 septembre 2022, trois jours après son arrestation pour non-respect du port du voile, un cri retentit en Iran : « Femme, vie, liberté. » Un mouvement inédit dans l’histoire contemporaine de ce pays.
Au cœur de cette révolte, on découvre une majorité des jeunes gens de moins de trente ans, issus de milieux sociaux divers. Ils s’allient pour organiser des manifestations, distribuer des tracts, taguer les murs, notamment ceux de Téhéran et d’Ispahan. Ils s’engagent malgré les menaces et la répression violente mise en place par les autorités.
Mortaza Behboudi, qui a vécu plusieurs années en Iran, fut le seul journaliste européen à se rendre sur place, pendant les événements, au péril de sa vie. Sous son regard franco-persan se dessine le portrait d’un pays tiraillé entre conservatisme et soif de liberté. Au plus près de cette génération qui se réunit dans des lieux secrets, des cafés clandestins, refuse de porter le voile, soigne des blessés, il nous fait découvrir ces femmes et ces hommes qui se battent, risquant l’emprisonnement, la torture, la mort.
Un document-vérité plus que poignant, décortiquant l’apartheid des genres, férocement mis en place en Afghanistan et en Iran. Un récit qui percute, fait pour que l’on n’abandonne jamais ces femmes vivant dans deux pays qui sont incontestablement parmi les plus répressifs envers la femme.
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