par Jane Doe
24 août 2020
En sept siècles d’existence, la grand-messe luxembourgeoise fut rarement annulée ou interrompue. Sa suppression en 2020 pour cause de crise du COVID-19 et sa formule « éparpillée » de 2021 sont des cas uniques dans son histoire.
Aussi loin que les sources historiques connues l’attestent, la Schueberfouer a connu peu d’arrêts, au cours de ses 680 années d’existence.
« Jusqu’en 1870, nous n’avons pas assez de documents pour pouvoir affirmer que la foire s’est tenue chaque année », précise l’historien et spécialiste de l’événement, Steve Kayser.
Ces 150 dernières années, des circonstances politiques (guerres), un événement sportif et une grosse coupure électrique ont toutefois perturbé l’organisation de l’événement.
À l’été 1870, la Schueberfouer n’a pas eu lieu : situé tout près des théâtres d’opérations (Metz et Sedan), le Luxembourg fait depuis 1842 partie de l’espace économique allemand (Zollverein), dominé par la Prusse. Impossible donc de faire entrer les forains, notamment français, et leur matériel au Grand-Duché.
L’événement est annulé de 1914 à 1918 inclus. Durant l’occupation, les Allemands réquisitionnent le champ du Glacis à des fins militaires ; aucune possibilité donc d’installer une quelconque baraque ou attraction foraines. « Quelques documents et coupures de presse montrent que l’événement manquait aux gens », rappelle Steve Kayser. « Malgré les restrictions, le rationnement et la misère, en effet, les bistrots et brasseries du Glacis, ont essayé de restituer cette ambiance de fête foraine qui faisait défaut, avec de la musique et des spectacles de music-hall. »
Plus qu’une coupure provisoire, le conflit créera une rupture importante dans le monde des arts forains, estime l’historien. Et « détruira le dynamisme joyeux et l’esprit Belle Epoque de l’événement ».
Le jour de l’entrée en guerre de l’Allemagne (1er septembre 1939), la ville interrompt la fête. Beaucoup de forains français et allemands appelés sous les drapeaux doivent alors cesser leurs activités. Certains laisseront leur matériel sur place auprès d’un collègue luxembourgeois, et les récupèreront durant ou après le conflit.
L’année suivante, la foire est également annulée. Elle reprendra en 1941, 1942 et 1943, sous l’impulsion de l’occupant allemand, pour amuser les autochtones et ses soldats, et leur faire un temps oublier la guerre.
En 1944, la Schueberfouer est à nouveau abrogée, pour cause de combats entre Alliés et Allemands précédant la libération du pays.
Depuis, seuls quelques événements sont venus temporairement troubler la fête.
Alors que la rencontre de football entre le Luxembourg et les Pays-Bas du 7 septembre 1994 risque d’être prétexte à des débordements hooligans, la bourgmestre de la ville, Lydie Polfer, décide de fermer les portes de la Schueberfouer, toute la journée.
Le 2 septembre 2004, le pays subit la plus grande panne d’électricité d’après-guerre. Durant quelque 30 minutes, la foire est interrompue et les pompiers doivent intervenir pour secourir les clients piégés dans les attractions. L’origine de la panne sera imputée à la compagnie d’électricité allemande RWE, qui alimente le Grand-Duché pour l’essentiel de son électricité.
D’autres crises sanitaires ont-elles pu perturber le déroulement de la Schueberfouer dans le passé ? Comme la peste en 1630 (3.000 morts) ou bien le choléra en 1865 (3.500 morts) ?
« Il n’y a pour l’instant aucune archive connue sur le sujet. Si des historiens se sont penchés sur les épidémies au Luxembourg, aucune étude ne porte sur leurs possibles conséquences sur la tenue de la Schueberfouer », indique Steve Kayser.
« Personnellement je n’ai jamais trouvé la moindre mention de cette foire annuelle dans les documents que j’ai consultés, » confirme un autre historien, Edouard M. Kayser.
Dans un ouvrage sur les crises sanitaires au Grand-Duché entre 1750 et 1795*, ce dernier note que la fièvre typhoïde et la dysenterie apparaissent régulièrement les mois d’août et de septembre (en pleine Schueberfouer), suite à la chaleur et à la sècheresse.
Mais ces maladies contagieuses ne semblent avoir eu aucune incidence sur l’événement même.
Une des raisons possibles : elles sont très localisées géographiquement ; « Elles ont surtout concerné les campagnes, qui concentraient à l’époque 96% de la population du pays, ce qui limite le foyer du virus dans la capitale », rappelle l’historien.
Au niveau médical, les rares villes et bourgs étaient d’ailleurs mieux équipés pour se défendre en cas d’épidémie, avec généralement un ou deux médecins et d’un ou deux apothicaires, ajoute Edouard M. Kayser.
De même, moins développées à l’époque qu’actuellement, les infrastructures de communication n’ont pas accéléré la vitesse de propagation des virus, comme aujourd’hui : à l’époque, le Luxembourg est un « pays isolé du reste des Pays-Bas autrichiens », du fait du massif ardennais. Et « les voies de communication, quand elles existent, sont dans un état lamentable », poursuit Edouard M. Kayser. Aussi, « on conçoit sans peine dès lors, que le Luxembourg non seulement reste à l’écart des courants commerciaux, mais encore ne subit guère l’influence des innovations culturelles de l’époque ».
La double épidémie de dysenterie et de typhoïde, qui éclate de mi-août à mi-octobre 1781, sera la plus sérieuse que connaîtra le pays au cours de l’Ancien Régime finissant : environ 300 malades à Luxembourg-ville, et de nombreux morts.
Sauf durant la vague de choléra de 1865, le Luxembourg du 18ème siècle et les régions d’Europe occidentale ne connaîtront plus les grandes mortalités des époques antérieures ».
Et comme aujourd’hui dès l’émergence d’une épidémie, les autorités de l’époque réagissent et prennent des décisions contraignantes de barrière sanitaire : « suspension de certaines importations, barrage et contrôle des voies d’accès par des gens en armes, obligation faite aux étrangers de détenir un certificat de santé, etc. », détaille Edouard M. Kayser. Ces mesures prises au coup par coup lorsqu’un foyer de contagion est signalé, sont ensuite annulées quand tout danger semble écarté. « Si elles visent à protéger les populations des risques extérieurs de contagion, elles répondent surtout au souci de ne pas désorganiser la vie socio-économique, donc de préserver les ressources humaines et matérielles », insiste ce dernier.
Pour ces raisons, on peut imaginer que les autorités n’ont pas jugé bon d’annuler la Schueberfouer lors d’épidémies. Ce qui pourrait expliquer qu’aucune mention d’un quelconque arrêt de la foire n’existe dans les archives connues.
Créé en 1340 par le Comte de Luxembourg Jean L’Aveugle, à l’image notamment des foires champenoises et suite à leur déclin, la Schober-Messe (devenue ensuite Schueberfouer) a été pendant plusieurs siècles le point de contacts commerciaux entre les marchands venus des Flandres, de France, d’Espagne, d’Italie, de Suisse et d’Allemagne, pour y échanger produits artisanaux, tissus, et épices.
Au 18ème siècle, la foire devient progressivement un lieu d’amusement. L’industrialisation, l’arrivée des grands magasins et la sédentarisation du commerce du 19ème siècle la transforment définitivement en une fête foraine, portée par le développement du cirque, l’invention du cinéma et par des attractions toujours plus impressionnantes et époustouflantes.
Aujourd’hui, la Schueberfouer est devenue « le plus grand événement d’amusement populaire de la Grande Région, et un véritable événement européen », insiste Steve Kayser. Les plaques d’immatriculation des forains et des visiteurs, les langues pratiquées par les professionnels et le public, démontrent d’ailleurs que son rayonnement s’étend au-delà des régions et pays limitrophes, et prouvent que le Luxembourg reste, comme il y a sept siècles, un carrefour d’échanges et de communication incontournable, au centre du Vieux Continent.
APPEL DE NOTE « Le phénomène épidémique dans le duché de Luxembourg à la fin du régime autrichien » 1985)
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