#Prenez la poudre d'escampette | #Culture & Évasion

Poudre d’escampette : Janette à 4000 mètres !

par Vanessa Schmitz-Grucker

8 septembre 2021

Cette rubrique « Poudre d’escampette » se présente à vous ce mois-ci comme un défi ! Le temps d’une expédition à 4153 mètres de hauteur en Suisse, nous sommes devenues les ambassadrices de l’alpinisme au féminin grâce au 100% Women Peak Challenge. Direction le Valais pour conquérir le mont Bishorn, un glacier ouvert en 1884 par l’anglaise Elizabeth Burnaby, d’où son surnom de « 4000 des dames »…

Jour 1 : bienvenue en Valais !

L’odeur du café bien chaud réveille en douceur le petit monde endormi des wagons-lits du train de nuit pour Zurich. La Suisse fait partie des rares pays qui accueille les voyageurs par train et voiture sans vaccin ni test Covid : une aubaine pour celles qui, comme moi, se décident toujours à la dernière minute. La nuit fut calme dans ce compartiment climatisé, réservé aux femmes. Mais très vite, l’attrait du café est balayé par celui du paysage enchanteur qui défile derrière les fenêtres. Je saute de ma couchette pour frotter mes yeux ébahis devant les lacs et montagnes qui se succèdent : un joli prélude.

J’ai dans la poche un sésame pour parcourir la Suisse, le Swiss Travel Pass. Il me sera bien utile pour traverser ce petit pays du nord au sud. Les changements se font facilement : en quittant Zurich à 8h20, j’arrive à 12h20 à Zinal, première étape où je dois récupérer un peu d’équipements chez Olympia Sports. Armée pour la (très) haute montagne, je m’élance pour une première aventure vers la corne de Sorebois qui domine le Val d’Anniviers à 2896 mètres. C’est une carte postale de la Suisse qui se déploie là  : chalets en bois, marmottes, tintement de cloches, eau turquoise des glaciers et même un gypaète barbu qui, fort de ses deux mètres d’envergure, semble me dire que je ne suis que tolérée sur son domaine. Au loin, face à moi, coincé dans une dentelle de pics blancs, le graal à conquérir : le Bishorn et ses 4153 mètres. Il faut prendre des forces, direction Tourtemagne avec mes partenaires de cordée (et de galère !), Coleen et Judith. Nous passons la soirée et la nuit chez Diroso où l’on se ragaillardit à la mode locale : raclette et vin de la maison !

Jour 2 : le début du périple…

La légère pluie du matin n’entame pas notre détermination. Les prévisions sont optimistes, d’ailleurs le soleil brille haut dans le ciel et les premiers parapentistes s’élancent des cimes lorsque nous rejoignons Erin qui nous guidera, si mère-nature le veut, à 4153 mètre. Notre périple débute en douceur : sentiers aisés et routes forestières nous mènent au lac de Tourtemagne, un bijou vert émeraude au pied du glacier du même nom. Le Bishorn en fond de toile, nous progressons facilement jusqu’au premier refuge à 2519 mètres. Le secret de l’altitude, c’est l’acclimatation. Aussi, nous restons ici jusqu’au lendemain matin, dans cette maison en bois hantée des rêves et des espoirs des alpinistes qui l’ont empruntée depuis 1928. Sans surprise, le temps s’y est arrêté : sans réseau, ni wifi, les uns jouent aux cartes, les autres lisent ou entonnent des chants de montagne. Déjà je le sais : le retour à la « vraie » vie sera rude. Les premières silhouettes disparaissent vers les dortoirs dès 20h : il s’agit de partir aux aurores, le temps joue contre nous, un sol fermement enneigé est synonyme d’une progression facilitée et le soleil tend à faire fondre les ponts de neige.

Jour 3 : haut les coeurs !

Seul le doux bruit de l’eau de la fontaine s’est autorisé à taquiner le lourd silence de la nuit. Nous avons dormi à poings fermés, fait plutôt rare dans les refuges ! Le temps de récupérer piolet, baudrier et crampons, de s’approvisionner en eau et nous voilà parties vers l’aventure, sans avoir la moindre idée de ce qui nous attend, dans l’insouciance générale. Ce n’est pas tous les jours que des cordées 100% féminines se lancent dans l’immensité des Alpes et je dois bien avouer que ce n’est pas déplaisant ! On s’engage dans le premier passage, un bel échauffement sur la paroi pour arriver quelques mètres plus haut. Aucune cordée en vue, nous sommes seules au monde dans un décor digne des premières heures de l’exploration alpine, avec toutefois des glaciers au régime sec, réchauffement climatique oblige. Les changements de terrain s’enchainent : aïe, ça se complique ! Au fur et à mesure que le refuge rétrécit derrière nous, les challenges se corsent. Au pied des moraines, nous passons un premier glacier crampons aux pieds, sourire aux lèvres, enjambons les torrents à la surface du glacier (des bédières) en prenant soin d’éviter une chute aux conséquences peu engageantes. Retour sur la terre ferme, ou presque : la roche danse sous nos pieds, les arcs-en-ciels qui se dessinent dans les cascades réchauffent nos coeurs jusqu’à la via ferrata. Si elle n’est techniquement pas difficile, le passage demande une bonne force et une certaine aisance avec le vide. Tout ce qui commence à me manquer en cette fin de matinée ! Je me hisse péniblement en haut où je ne suis pas au bout de mes surprises : il y a un sacré replat, qui ne semble qu’amas et fouillis de roches, à traverser jusqu’au glacier de Toutemagne pour atteindre notre but du jour : la cabane de Tracuit à 3256 mètres. Mais le plus éreintant du parcours restera tout de même le glacier de Tourtemagne, un monstre pentu et crevassé duquel on vient péniblement à bout. La cabane du Tracuit semble plus loin que jamais en pataugeant sans la neige fondue du dernier plateau. La dernière montée est interminable mais le Tracuit en vaut la chandelle : jamais vous n’aurez admiré une telle vue sur les montagnes, la plus belle des Alpes murmure-t-on. Tenu par une équipe de femmes emmenée par la belle et radieuse Anne-Lise, la cabane du Tracuit, accrochée à la roche, offre une vue à couper le souffle depuis sa façade entièrement vitrée. De quoi savourer ses rösti la tête dans les étoiles.

Jour 4 : summit day !

Telles de petites fourmis affairées dans un silence religieux rompu par les bruits de zip, les alpinistes se préparent avant même le lever du jour, la mine fatiguée. Ça se bouscule au vestiaire, la patience est de rigueur de bon matin. Florence nous a rejoint la vieille, elle mitraille avec son appareil photo. Le Bishorn se dresse devant nous. Après la montée épique au Tracuit la veille, je n’ai plus de mal à croire que cette excursion au sommet n’est qu’une promenade de santé. Et en effet, contre toute attente, la montée est plutôt facile. Seul ennemi en vue : l’altitude. Elle nous achève pour les heures à venir. L’absence de paysages-récompenses ne nous aident pas : nous avançons dans un brouillard épais, il est de plus en plus difficile de croire que le ciel va se dégager. L’oxygène se fait un peu plus rare à chaque palier. Erin avance d’un pas déterminé, aucune cordée ne nous dépasse mais l’effort jusqu’au sommet reste supportable. C’est avec un sourd mal de tête que nous arrivons au sommet : objectif atteint ! La météo n’était pas de notre côté, ce sont les aléas de la montagne, nous savourons tout de même notre ascension et nous repartons à bonne allure, pressées de rentrer au refuge et soucieuses de marcher sur une neige bien ferme.

Il nous aura fallu un peu moins de 6h, aller-retour, pour conquérir le Bishorn. Avec la vue dégagée et les paysages, c’est sûrement une formalité pour toutes que de gravir ce sommet ! Au final, ce sera davantage le glacier de Tourtemagne que celui du Bishorn que nous aurons maudit, la montée au Tracuit restant le plus dur !

Jour 5 : chers alpages…

Dans la douceur d’une grasse matinée à 3000 mètres (nous avons dormi jusque 6h40 : quel bonheur !), des yaks se sont invités au pied de notre cabane. Le chant des alpages nous appelle sous un ciel dégagé. La perspective d’une bonne douche à l’hôtel (non, il n’y a pas de douches dans les refuges de haute montagne…), l’idée de dévorer des produits frais et, bien sûr, de se laisser fondre dans un sauna, rechargent nos batteries. Le retour progressif de la vie sur le chemin est une véritable renaissance pour nous aussi : je n’ai jamais autant été en émoi devant des vaches. La descente n’est guère plus facile que la montée, mais l’odeur des pins nous revigorent. C’est en un peu moins de 4 heures de raide descente que nous atteignons Zinal et l’hôtel Europe où raviolis et pizzas engloutis, nous nous ruons vers le spa. La civilisation a du bon : Petite-Arvine, Humagne rouge, fondue au fromage, fondue de boeuf et sorbet valaisan bercent notre soirée sous les étoiles à la terrasse de La Pension de la Poste. La nuit dans ce vrai lit est trop courte. Au réveil, le soleil inonde Zinal et sa vallée, ses torrents, ses chalets centenaires. Les parapentistes sont de retour dans le ciel. On s’arrache difficilement à ce petit coin de paradis.

Mon train fend les plaines à toute vitesse. Par la vitre, derrière moi, les sommets étincelants des Alpes déchirent le ciel. Le retour à la vie bien terrestre semble presque irréel. Dans le fauteuil où je me suis alanguie, ni mon épuisement général, ni mon corps criblé de douleurs ne m’empêchent de rêver à mon prochain sommet.

A savoir :

100% Women Peak Challenge, vous aussi vivez l’aventure et faites monter les femmes au sommet ! Jusqu’au 8 octobre, des récompenses vous attendent pour chaque « 4000 mètres » gravi en Suisse : peakchallenge.myswitzerland.com/fr/

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