par Paule Kiénert
7 juillet 2025
Née au Luxembourg en 1993, Liz Lambert tient à exercer l’art de la photographie sans compte à rendre. C’est libre de plaire ou non et d’en vivre qu’elle souhaite poursuivre sa passion. Faire remarquer la beauté dans le quotidien, rendre attentif à l’éphémère, telles sont ses intentions. Rencontre avec une artiste qui puise sa force dans son naturel.
Vous n’avez pas étudié la photographie. Quand et comment en êtes-vous venue à en faire une carrière ?
La photo n’est pas vraiment mon métier, elle ne me permet pas de gagner ma vie. Pour cela, j’exerce un emploi à temps partiel comme chargée de communication pour une asbl qui me plait d’ailleurs beaucoup. Et la photo est ma grande passion. Pour le moment, il est important pour moi de conserver ma liberté, de ne pas ressentir de pression financière. En faisant de la photographie mon métier, j’aurais peur de perdre en spontanéité.
Pour répondre à votre question, la photographie m’accompagne depuis mon adolescence. J’ai d’ailleurs suivi un cours de photographie pendant l’école secondaire qui m’a vraiment complètement découragée, au point de ne prendre pratiquement plus aucune photo pendant plusieurs années ! Devoir faire des exercices, recevoir des sujets imposés et des critiques… Ce n’était pas pour moi, je me suis sentie comme emprisonnée. Je pense que c’est aussi ce qui a fait que je n’ai pas étudié la photographie.
Donc, ce n’est qu’en 2018, lors de mon premier voyage en Israël et Palestine dans le cadre d’un échange universitaire que j’ai redécouvert la photographie. Ce voyage très émotionnel a marqué un tournant dans ma vie. Et puis, comme beaucoup d’autres, la période du Covid m’a permis de m’immerger encore plus profondément dans le monde de la photo. Depuis 2022, j’ai décidé de me consacrer de façon intensive à cet art et d’en faire plus qu’un simple passe-temps.
Comment définiriez-vous votre style ?
Ce qui est essentiel pour moi – que je fasse des autoportraits, de la photographie de rue, ou quand je réalise un projet comme « Transhumanz » – c’est de rechercher toujours l’intimité.Mes photos veulent toucher le spectateur, être accessibles. Elles sont souvent réduites à l’essentiel et ludiques aussi. Je joue avec tout ce qui m’entoure, avec les ombres, les reflets, les mouvements. Certains m’appellent « hunter » et je dirais que c’est plutôt juste : je suis toujours à la « chasse », à la recherche de la prochaine photo !Les termes qui caractérisent bien ma photographie sont la spontanéité et l’intuition. Je ne réfléchis pas longtemps, je me laisse guider. C’est pourquoi je prends autant de photos avec mon smartphone aussi. Parce que la technique m’importe peu. Ce qui compte pour moi, c’est vraiment le résultat. Je veux immortaliser ma vision du monde et la partager avec les autres.
Quels messages ou émotions cherchez-vous à faire passer au travers de vos photos ?Ce qui est important pour moi, c’est attirer l’attention sur les nombreux détails magiques qui nous entourent chaque jour, que nous considérons comme acquis, que nous ne remarquons souvent plus parce qu’ils sont si normaux. Je veux montrer qu’il n’est pas nécessaire de voyager loin pour trouver la beauté. Beaucoup d’entre nous sont devenus aveugles, en quelque sorte, à ce qui se trouve juste devant eux, devant nous.
En ce qui concerne les émotions, j’ai à coeur de montrer l’humain comme il se caractérise sous toutes ses facettes. C’est aussi pourquoi mes photos – comme dans l’exposition « Transhumanz » – montrent rarement des visages. En ne montrant pas ou très peu de visages, les images offrent un champ d’interprétation encore plus vaste où chacun peut se retrouver. Dans mes photographies, je m’intéresse rarement aux individus, mais plutôt à l’humanité en général.
Vous dites ne pas vouloir intellectualiser votre art. Qu’est-ce qui vous gêne dans cette démarche ?Je n’y arrive pas, tout simplement. Cela me semble faux. J’ai déjà beaucoup de mal à trouver des mots pour décrire mes photographies ou mon art. Ce n’est pas sans raison que je suis devenue photographe et pas écrivaine ! Mes photos sont l’expression de mon univers émotionnel. Elles sont spontanées, intuitives, intimes. Toute intellectualisation me semble artificielle.
C’est aussi quelque chose qui me dérange souvent dans le monde de l’art, de sans cesse pousser les artistes à s’expliquer au lieu de laisser les œuvres parler d’elles-mêmes. Je ne veux pas convaincre les personnes de quoi que soit ! Je ne veux pas manipuler les gens pour qu’ils aiment ce que je fais. Mon objectif ou mon espoir, c’est que mes photos interpellent le public, le touchent. Et si ce n’est pas le cas, alors ça me va ! Elles ne doivent pas plaire à tout le monde.
L’exposition actuellement en cours au CNA se nomme « Transhumanz ». Pourquoi avoir choisi ce thème original de la transhumance ?C’est le résultat de plusieurs événements qui se sont succédés. Rien n’était prévu d’avance. Au printemps 2024, mon partenaire était à la recherche d’un nouvel emploi. Et mon père, qui est agriculteur, lui a dit qu’un berger transhumant de sa connaissance cherchait un nouvel employé. C’était la première fois que j’entendais parler de transhumance au Luxembourg. À peu près au même moment, j’ai vu l’appel à candidature pour la bourse CNA x LUGA. Je pensais que cette bourse n’était pas une option pour moi, car je ne voyais spontanément aucun sujet que je pourrais présenter. C’est quand mon partenaire a obtenu le poste chez ce berger qui pratique la transhumance, que j’ai su que la vie me disait que je devais tenter ma chance. J’ai donc soumis ma candidature avec la description du projet en moins de 24 heures, parce que c’était la limite pour postuler. C’était vraiment un projet très spontané!
Je dois aussi dire que j’ai une affinité particulière pour la transhumance, ou plutôt pour l’élevage en général, parce que, comme déjà mentionné, mon père est agriculteur, agriculteur biologique précisément. Ce qui signifie que j’ai grandi avec des animaux, et aussi avec de nombreuses questions sur l’élevage, le bien-être animal, la protection de l’environnement… Ces sujets me tiennent à cœur et m’intéressent beaucoup. Le thème de la transhumance m’a vraiment fascinée.C’est un mode d’élevage qui favorise la biodiversité et crée aussi une relation très particulière entre les animaux et les humains. Ils travaillent ensemble, ils sont comme des collègues.
Ce qui m’a le plus interpellée pendant le projet, c’est qu’ici au Luxembourg, la transhumance crée un lien tout à fait extraordinaire – et inspirant ! – entre l’espace rural et l’espace urbain. En accompagnant les bergers et leurs troupeaux, on peut observer comment différents mondes se rencontrent et s’affrontent sans cesse. En effet, dans une même journée, les animaux passent de la campagne à la ville, par le Kirchberg ou Bereldange !
En 2022, vous avez obtenu le Prix d’encouragement au Prix de la Photographie « Clervaux Cité de l’image ». En 2024, vous avez été lauréate de la Bourse CNA x LUGA. Ceci a-t-il une influence sur votre carrière ?
Oui, sans aucun doute. Tout d’abord, cela aide à se faire connaitre, ouvre de nouveaux horizons. De plus, ça permet d’être pris au sérieux, soi-même et aussi son travail. Cela m’a motivée et m’a donné confiance. Et puis, les bourses permettent une certaine sécurité financière. C’est rare d’avoir ce confort pour travailler sur un projet artistique. Et pour moi, le monde de l’art est un monde dans lequel il faut se battre, qui n’est pas toujours facile, souvent incertain, dont le doute fait partie. Donc, des prix et des bourses, comme les deux mentionnés ici, sont comme des mains tendues pour vous aider à avancer.
Quels conseils donneriez-vous aux photographes qui veulent faire carrière ?C’est la première fois que l’on me pose cette question et il n’est pas facile d’y répondre. Je peux peut-être vous parler de mon expérience personnelle. Il y a eu une période dans ma vie, juste après mes études, où je ne savais plus qui j’étais, ce que je voulais, où je voulais aller, ce qui était important pour moi. J’ai alors eu la chance de pouvoir consulter une coach de travail qui m’a fait prendre conscience de la force qu’on peut dégager lorsqu’on se lance activement dans une direction, dans un rêve. À l’époque, j’avais du mal à admettre ses propos que je trouvais un peu trop ésotériques ou spirituels, ce qui ne me correspond pas du tout. Mais j’ai dû reconnaître qu’il y avait vraiment quelque chose de vrai là-dedans !
Je conseillerais également de ne pas trop réfléchir. Faites ce qui vous semble juste. Ne vous laissez pas trop influencer par les autres. Et aussi, c’est très personnel, mais ne demandez pas trop d’avis. Cela peut parfois un peu décourager ou faire qu’on ne sait plus dans quelle direction aller. Et peut-être aussi ne devenez pas financièrement dépendants. Du moins, pas au début. Parce que cela vole beaucoup de liberté. Certains de mes amis essaient de faire de l’art pour vivre et je constate que ce n’est vraiment pas facile. Beaucoup quittent d’ailleurs complètement ce milieu. On ne trouve pas la créativité dans le lucratif. Il faut une certaine liberté pour être créatif. C’est mon avis.
Actualité
Exposition « Transhumanz » Au Pomhouse : du 28 juin au 21 septembre 2025
Expo satellite au CAPE : du 2 au 22 juillet 2025
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