#Rencontres | #Janette, toujours au fait

Janette rencontre Julie Conrad, confidences d’une créatrice intuitive

par Elodie Lambion

6 mars 2024

Exerçant un métier rare, celui de product designer, Julie Conrad s’inspire des matériaux, point de départ de ses créations, pour concevoir des objets où esthétique, fonctionnalité et histoire fusionnent. Diplômée de la prestigieuse école de design parisienne CREAPOLE, riche d’une expérience de plus de dix ans au Luxembourg, l’humain est au centre de son travail, de sa vocation. Récemment installée au sein du ‘Design Hub’, l’entrepreneuse audacieuse a accueilli Janette dans son studio pour vous faire vivre une interview franche et sincère en toute intimité.

« La création ne se fait pas dans la perfection. »

Julie Conrad

Product designer, métier peu connu au Luxembourg, comment est né ce désir d’en faire votre profession ?

C’était très naturel, car c’est quelque chose que je faisais déjà lorsque j’étais enfant. J’adorais voir comment les choses fonctionnent, en construire de nouvelles. Tricoter, dessiner, j’étais toujours en train de faire quelque chose avec mes mains. Quand je me suis retrouvée à la foire de l’étudiant, devant le stand de l’école dans laquelle j’ai été, que ’ai su que je pouvais en faire mon métier, je n’arrivais pas à y croire. C’était une révélation.

Quel(s) souvenir(s) gardez-vous de vos études parisiennes? 

Les études de design, c’est un peu comme celles d’architecture : nous sommes complètement plongés dedans. Les cinq ans sont passés très vite, je travaillais énormément. Mon école cherchait à nous apprendre à travailler sur divers projets, en ayant beaucoup de pression, en restant toujours organisés et créatifs. Je voyais Paris surtout la nuit. Garder cette « work life balance », c’est un challenge. C’est un travail que j’aime beaucoup, donc il n’y a jamais assez d’heures dans une journée !

Design français, design luxembourgeois, quelle différence significative existe-t-il entre les deux ?

C’est quoi le design luxembourgeois ? J’essaie de le trouver. Nous ne sommes pas très nombreux à créer des produits, du mobilier. Je n’ai donc pas la réponse. D’ailleurs, j’aime plonger dans différents univers et ne pas trop les mettre dans des cases. J’ai été influencée par le design français évidemment, mais aussi par le design allemand. Tout ce qui nous entoure, car même si le Luxembourg est un territoire qui n’est pas très grand, il y a des influences de partout. Après, j’ai également fait un stage aux États-Unis : c’est celui qui m’a le plus influencée.

Quelle est justement cette influence américaine ?

Aux États-Unis, on a beaucoup moins peur de la défaite. Là-bas, on peut tester des choses, changer de voie, repartir. Pendant mes études, mais aussi en tant que Luxembourgeoise, j’avais le sentiment de devoir faire tout parfaitement. Or, la création ne se fait pas dans la perfection. Ce sont toujours des tests, des choses qui doivent échouer pour que de nouvelles émergent. C’est difficile de créer des produits, si on a trop peur de ce qui peut ne pas fonctionner. C’est plus intéressant lorsqu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas. Je l’ai appris là-bas tout comme le fait que, pour créer, tout ne doit pas être beau. Les croquis peuvent être très moches, mais transmettre la conception. C’est la communication qui compte.

Fraîchement diplômée, vous vous installez au Luxembourg en créant votre propre studio en 2013. Plutôt choix du cœur ou défi audacieux ?

Ni l’un ni l’autre ou peut-être un peu les deux ! Comme je le disais, les études étaient très intenses donc, après, j’ai eu besoin de me poser un peu, de réfléchir à ce que je voulais faire. J’avais envie de revenir au Luxembourg, j’avais l’impression qu’il y avait des choses à faire ici. Je n’avais pas un plan tout établi en revenant. Cela s’est un peu fait de fil en aiguille.

Actuellement, vous ne vous imaginez pas ailleurs ?

À l’heure actuelle, non, car je pense que ce sera toujours le centre de ma vie. Après, j’aimerais bien mettre en place d’autres projets avec l’étranger. Cela ne me dérangerait pas de partir quelques années, mais je sais que mon cœur est ici.

Développement de produits ayant un faible impact pour l’environnement, mariage de l’artisanat et de la production industrielle, ces valeurs qui sont les vôtres, comment ont-elles émergé ?

À un moment, je me suis dit : c’est quoi mon style ? Il faudrait que je le trouve. Or, je me suis rendue compte que je l’avais, que c’était inconscient. Dans tous les projets que je fais, j’ai une façon de les commencer, de réfléchir qui fait qu’il y a vraiment des liens aussi bien dans l’esthétique que dans le fonctionnel. Je ne dirai jamais que je fais de l’économie circulaire, car il y a très peu de choses qui atteignent ce niveau-là. J’ai très vite compris l’impact de nos produits sur nous, l’environnement. Il n’est pas anodin. J’avais limite mauvaise conscience d’être dans un domaine où on développe, produit des choses qui vont peut-être engendrer des déchets. C’était très naturel pour moi de me dire si moi, maintenant, je développe des choses qui ont moins d’impact, je peux créer un changement positif. C’est lié à quelque chose de très personnel, qui a toujours été là, mais qui s’est dévoilé avec le temps. J’ai étudié pendant cinq ans, je travaille depuis plus de dix ans et encore maintenant, je découvre de nouvelles choses. C’est cela qui est beau! Ce sera toujours un cheminement, mais je sais que je resterai sur cette voie qui consiste à faire du design positif, qui change notre vision vis-à-vis des objets. D’ailleurs, il y a toujours toute une histoire derrière chacun d’eux, un rapport aux autres. Pour moi, il faut être à l’écoute des gens autour de soi. Le designer doit toujours être très conscient de ce qui se passe autour de lui. Il analyse sans cesse. Je m’aperçois que je veux toujours améliorer les choses, savoir comment elles sont faites afin de voir comment, moi, je peux les améliorer.

Maintenir cette exigence de produire du 100% luxembourgeois, quel est l’obstacle que vous rencontrez le plus fréquemment ?

C’est un obstacle, car tout ce qui est produit au Luxembourg est plus cher : la main d’œuvre, les locaux, donc évidemment les produits vont être onéreux. Même si je constate une évolution, je dois encore beaucoup me justifier par rapport à cela et ce n’est pas toujours facile. On ne peut pas tout trouver au Luxembourg, il y a même des choses qui ne se font pas du tout. Après, je ne dis pas que cela doit être fait strictement sur le sol luxembourgeois. Il ne faut pas être trop radical. Ce qui est primor- dial, c’est que chaque choix fasse sens.

Quelle rencontre humaine, artistique, a particulièrement influencé votre conception du design ?

Il y en a eu beaucoup. C’est toujours dur pour moi d’en choisir une seule. Ce que je peux citer comme collaboration récente, c’est celle avec Norbert Brakonier. Tout comme moi, il a vraiment envie de faire des pièces de design, de pousser la production locale, de montrer que le design peut se faire au Luxembourg. Nous nous sommes donnés rendez-vous dans un restaurant. Je lui ai montré des photos de mes recherches et il m’a répondu: «Cela fait justement quelques mois que je regarde des choses qui vont dans cette direction-là». C’était un moment bluffant, car on avait pensé à la même chose. De ce fait, j’ai imaginé le design en étant constamment en contact avec lui. Nous avons réussi à concevoir les chaises ensemble. Il n’y a pas de vis, les pièces sont emboîtées. Le tressage est aussi placé sans aucun clou. Cela compte, ce qu’une pièce raconte esthétiquement. En les voyant, on comprend que l’on peut enlever le tressage, le changer, le renouveler. Je voulais prendre le temps d’accomplir un projet manuel, où tester des choses sans avoir la pression de me dire que chaque pièce doit être parfaite. Nous avons ainsi présenté 5 prototypes avec les premières intentions et nous avons pu réaliser une première commande sur mesure pour la marque japonaise UNIQLO. Maintenant, nous entrons dans la phase de développement de la première série.

Comment procédez-vous, comme il n’existe pas de maison d’édition au Luxembourg ? 

C’est une problématique. Pour les paravents et les bancs, j’ai eu pendant un certain temps une petite maison d’édition à Paris, mais elle a cessé ses activités. Pour le moment, c’est de la vente en direct. Pour les chaises, nous avons l’ambition de créer toute une série, de la documentation et de a proposer à des maîtres d’ouvrage public, des entreprises qui aménagent leur bureau pour que cela ait un plus grand impact. Les particuliers pourront aussi les acheter. Si quelqu’un se sent d’ouvrir une maison d’édition au Luxembourg ou si quelqu’un à l’international lit ceci, je suis toujours ouverte à cela (rires). Pendant longtemps, je pensais que c’était toujours lié au Luxembourg et que c’était plus facile à l’étranger, or, quand j’ai travaillé à Paris, j’ai vu que nombreux étaient les designers accomplis à avoir arrêté, car financièrement, c’était difficile. Je pense donc que le problème est plus global.

Art et design, une seule unité indissociable ou deux entités différentes, mais complémentaires ?

L’approche que nous apprenons en tant que designer est souvent différente de celle des artistes. Pas nécessairement, mais souvent, on donne au designer un brief, une situation et il doit trouver une solution. Dans l’art, il y a peut-être davantage de liberté. Mais je ne veux pas opposer les deux. Il y a énormément de choses qui se chevauchent. Moi, je me sens bien quand j’ai un brief, quand je cherche des solutions, quand j’ai des contraintes. Ce serait tellement dur pour moi de me dire: «Maintenant, je suis artiste: qu’est-ce que je fais?»

Où puisez-vous l’inspiration ?

Dans les contraintes. Et dans les matières. C’est très important pour moi cette analyse : quel est mon cadre ? La matière, comment est-ce que je peux l’utiliser ? Dans les sacs conçus avec de la bâche réutilisée, j’ai travaillé avec plusieurs bâches différentes afin de voir ce que je pouvais faire ou ne pas faire. La matière joue énormément.

Quel objet design fascinant rêveriez-vous de créer ?

Encore et toujours des chaises. On dit que pour les designers et les architectes, c’est un peu le Graal. J’ai déjà fait des assises, mais je veux en créer plus. J’adore cela.

À quel meuble iconique auriez-vous rêvé donner vie ? 

La suspension Vertigo créée par Constance Guisset.

Investie en tant que membre du comité de Design Luxem- bourg, quelle est l’avancée significative sur laquelle vous œuvrez en priorité ?

Pour moi, personnellement, le ‘Design Hub’, c’est une grande avancée. Quand j’ai réalisé qu’il y aurait le mot « design » sur des bâtiments au Luxembourg, je me suis dit que étions pris au sérieux, en train de trouver notre place. Design Luxembourg a joué, car nous avons fait le Design Festival pour montrer qu’on est là. Nous avons besoin de soutien, de la reconnaissance du métier. Ce lieu est une avancée, mais il y a encore beaucoup de choses à faire.

Quelle est la plus grande satisfaction procurée par votre métier ?

Les clients qui sont contents. Voir de nou- veaux objets qui n’existaient pas avant et se rendre compte qu’on les a créés.

Actualité

Luxembourg – Dubaï – Luxembourg Le MNAHA vient d’acquérir ARTEFACTS, l’installation interactive créée spéciale- ment par Julie Conrad pour l’Exposition Universelle Dubaï 2020. Après avoir été exposée au pavillon luxembourgeois début 2022, cette création révélant la minutie, la beauté et la fragilité de l’impression 3D sur la terre luxembourgeoise renoue avec ses origines.

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