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Ces BD d’avant rentrée

par Charles Demoulin

10 septembre 2024

Comme promis à tous ceux et celles qui me suivent dans Janette, voici, comme ce sera encore le cas durant les deux mardis à venir, quelques excellentes BD que nous n’avons pas eu l’occasion de vous présenter, mais qui pourtant méritent toute votre attention.

CASTERMAN

‘Corto Maltese – La reine de Babylone’ 

Orphelin depuis août 1995 d’Hugo Pratt, son père spirituel, Corto Maltese a toutefois trouvé repreneur de ses aventures avec, tout d’abord, Juan Díaz Canales au scénario et Rubén Pellejero au dessin. Une sacrée paire qui en 2021, après quatre albums, décida de passer le flambeau à Martin Quenehen et Bastien Vivès. Un duo qui après ‘Océan Noir’ nous propose aujourd’hui cette ‘Reine de Babylone’.

Il faut dire qu’avec Quenehen et Vivès, c’est un Corto Maltese new-look que les fans de Pratt ont découvert. Ainsi, voulant se démarquer du grand maître italien, Vivès aime par exemple s’attarder sur certains décors. Mais, le plus grand chambardement réside dans le fait qu’il a rangé au placard l’habillement habituel de l’ami Corto. Notamment sa célèbre casquette, son pantalon de marin et son parka. 

Automne 2002. Alors qu’une nouvelle guerre se prépare en Irak, Corto est à Venise en compagnie de Semira et de quelques amis de cette dernière. Des Bosniaques. Présents également dans la cité des doges, une bande de trafiquants. L’occasion pour Corto et sa petite bande de jouer aux pirates afin de s’emparer d’une incroyable somme d’argent. Ce qui bien évidemment va déclencher de nombreux rebondissements. De l’Adriatique au golfe Persique, des Balkans à Babylone, embarquez avec Corto pour une aventure pour le moins mouvementée.

‘Corto Maltese – La reine de Babylone’, de Martin Quenehen et Bastien Vivès d’après Hugo Pratt

DARGAUD

‘Habemus Bastard’

Le moins que l’on puisse écrire est que le père Lucien n’est pas un prêtre ordinaire. Fraîchement débarqué à Saint-Claude dans le Jura, il se fait remarquer par ses sermons peu orthodoxes. C’est ainsi que d’après lui, Dieu serait noir. Nouveau curé, nouvelles méthodes, pensent certains paroissiens. « Un curé moderne », conclut un autre en sortant de la messe qui n’a duré que dix minutes, grand maximum.

En réalité, le père Lucien n’est pas curé. Pour lui, la soutane n’est qu’une couverture destinée à échapper aux types pas très catholiques qui veulent lui faire la peau. Raison pour laquelle Lucien, par ailleurs tueur à gages de son état, cache un flingue sous ses habits ecclésiastiques. C’est vrai que pour lui la voix des armes est plus efficace que celle de Dieu. Au-delà, coincé dans cette petite ville du Jura, il a absolument besoin de cash pour assurer sa survie. Une situation délicate dont il saura se tirer avec panache.

Premier volet d’un diptyque, ce polar aussi original que drôle, aussi décapant que divinement iconoclaste, nous fait découvrir l’humour noir et merveilleusement corrosif d’un Jacky Schwartzmann considéré comme l’étoile montante du polar français. Quant au dessin d’un dynamisme incroyable et semi-réaliste que signe Sylvain Vallée, il est tout bonnement époustouflant. Vivement octobre pour la suite de cette pépite qui se veut, au-delà d’un scénario superbement tissé, un véritable régal visuel.

‘Habemus Bastard – L’être nécessaire’, de Jacky Schwartzmann et Sylvain Vallée.

DELCOURT

‘Liberté – Les trafiquants 2/3’

Prévu sous forme de triptyque, ce deuxième volet de ‘Liberté’ se présente comme la suite de cette lutte entreprise en France pour livrer des armes et de l’équipement à ces colons américains qui, milieu des années 1770, luttent pour obtenir l’indépendance de leur pays face à ces envahisseurs que sont les armées britanniques.

Juillet 1776. En France, Deane et Beaumarchais continuent leur trafic d’armes en soutien aux colonies américaines. Mais désormais ils sont sous la surveillance d’espions anglais qui mettent tout en œuvre pour contrecarrer leurs plans de livraisons. Quant à la première bataille à Manhattan, elle s’avère une déroute pour l’armée du général Washington qui se voit obligé de fuir. 

Toutefois, bien trop sûrs de leur victoire… La suite dans le troisième et dernier opus de cette série hautement documentée qui nous raconte avec une grande rigueur historique, les jeux de dupes, les trahisons et les magouilles qui ont, à l’époque, lié la France à l’Amérique naissante. Tout cela remarquablement mis en exergue par Chevallier et Le Roux qui se relayent au crayon.

‘Liberté – Les trafiquants’, de Jordan Mechner, Étienne Le Roux et Loïc Chevallier

ÉDITIONS DU TIROIR

‘Assassine’

Paru en 2004 en noir et blanc dans la prestigieuse collection ‘Roman’ chez Casterman, cet ouvrage nous revient avec l’ajout de la couleur. Ce qui ne gâche rien eu égard à la version originale.

Après une semaine d’absence, Simon Davenport rentre chez lui la tête toujours ravagée par le décès de son épouse. Ramassant son courrier, il découvre à la une du quotidien régional, une photo très récente sur laquelle on aperçoit sa maison. Or, à la fenêtre du premier étage, on entrevoit la silhouette de ce qu’il croit être son épouse Sylva, morte depuis deux mois.

Très vite, des signes aussi étranges que troublants vont lui apparaître çà et là. Il y a ces inscriptions qu’il découvre sur les murs de la cave. Des objets brisés autour de certains meubles. Et puis il y a surtout le vieux Simon, le patron de l’hôtel du coin, qui prétend avoir entretenu une relation avec Sylvia. De plus, chaque soir, il y a cette chanteuse qui ressemble étrangement à Sylva et qui se produit sur la scène de son hôtel. Et Davenport de ne plus savoir si sa raison vacille ou si quelqu’un veut le rendre fou.

Un ouvrage qui excelle surtout grâce au graphisme ultra personnel d’André Taymans.

‘Assassine’ d’André Taymans et Patrick Delperdange

GLÉNAT

‘Simone 2/3 – Tu entres par la porte, mais tu sortiras par la cheminée’

Simone, de son nom de famille Kadosche, est en fait un triptyque historique qui nous dévoile l’histoire d’une résistante française déportée à Birkenau, mais qui, miraculeusement, en est revenue. Dans le premier volet, le lecteur avait fait connaissance de Simone, alors âgée de 42 ans, et qui vivait dans un petit village de l’Isère. Simone qui à la télé, lors d’une émission où il était question de Lyon en 1944 et de la Gestapo, venait de reconnaître le visage de cet officier allemand qui l’avait torturée afin qu’elle lui dise où se cachaient ses deux frères.

Interloquée de voir ressurgir un passé douloureux, elle qui est juive, se souvient bien de lui : Klaus Barbie, recherché depuis la fin de la guerre. Elle se souvient de son arrivée à la prison de Montluc, des sévices endurés avant d’être envoyée au camp de Drancy, antichambre d’Auschwitz…

Dans cet ouvrage, c’est le terrible mécanisme de persécution et de déshumanisation qui est mis à nu dans l’histoire la plus sombre de la vie de Simone. Une femme dotée d’une volonté d’acier, mais aussi de résilience, et qui deviendra un témoin clé dans le procès de celui que l’on surnomma le ‘boucher de Lyon’. S’il avait fui en Amérique du Sud après la guerre, il fut toutefois retrouvé en Bolivie avant d’être traduit devant les tribunaux où Simone portera sur cet homme un témoignage accablant.

Tout comme moi, j’espère que vous allez adorer le dessin pensé jeune et tout en douceur de David Evrard. Un dessin qui dévoile absolument tout sans pour autant vouloir choquer. Un dessin qui arrondit les angles quant à la violence et à l’horreur des camps. Un dessin qui apparaît enfantin, mais qui va bien au-delà de l’image. Bien vite la suite et fin !

‘Simone – Tu entres par la porte, mais tu sors par la cheminée’, de Jean-David Morvan et David Evrard

LE LOMBARD

‘L’œil du marais’

Bruce J. Hawker, le héros de William Vance, est de retour au commandement du Lark, son célèbre navire. S’il a repris la mer, c’est grâce au duo Bec – Puerta qui a décidé de faire revivre ce personnage culte dont Vance avait mis fin à ses exploits il y a de cela une trentaine d’années.

Aujourd’hui, à bord du Lark, les rumeurs vont bon train : le voilier serait maudit… à moins qu’il ne s’agisse de son capitaine. Et ce n’est pas ce dernier qui démentira la chose, exigeant de ses hommes qu’ils le suivent jusqu’au bout de l’enfer. Et lorsque la vigie du Lark aperçoit la voile d’un ordre disparu depuis presque cinq siècles, celui des Templiers, on peut se demander si ce n’est pas réellement le diable qui tient la barre.

Premier volet d’un diptyque dédié à ce lieutenant de la Royal Navy, cet ouvrage au scénario bien ficelé brille surtout par le dessin et les coloris d’un Carlos Puerta au sommet de son art. C’est d’un réalisme incroyable et certaines planches sont tout bonnement à couper le souffle. Le souffle de ce vent qui déchaîne la tempête. Et sur ce sujet, le crayon et les pinceaux de Puerta excellent. Et puis, il y a aussi ses cadrages, ses décors, ses portraits de personnages en tout genre qui sont tout simplement somptueux. Un retour plus que réussi !

‘Bruce J. Hawker – L’œil du marais’, de Christophe Bec et Carlos Puerta

MARABULLES

‘Quand vient l’été’

À l’occasion de la commémoration des dix ans de la disparition de sa sœur Licia, Rachel, 25 ans, retrouve Joaquim. Ils se redécouvrent adultes après le drame qui les a séparés lorsqu’ils étaient enfants. Ce faisant, ils trouvent dans leurs blessures la sensation d’être vus pour ce qu’ils sont, et ce pour la première fois.

Plein de sensibilité et de nuances, ce récit questionne le rapport au deuil et la construction de soi dans un cadre familial en prise avec les attentes de l’entourage et de ses traditions. Dans ce fort album de quelque 220 pages, intelligemment traité, l’écrivaine et blogueuse afroféministe Laura Nsafou aborde des thèmes forts et actuels.

Un excellent roman au scénario superbement élaboré et qui pose nombre de questions. Notamment sur la difficulté de trouver place dans la société en tant qu’adulte afro-européen. Tout cela servit par un dessin qui ne peut que plaire.

‘Quand vient l’été’, de Laura Nsafou et Reine Dibussi

PATAQUÈS

‘L’énorme enquête’

Un mort improbable. Des suspects louches. Un bon coin à champis. Des mystères bien mystérieux en cascade. Tous les éléments sont réunis ici pour nous offrir une ‘Énorme Enquête’ plongée dans l’absurde, dans la lignée des ‘Nuls’.

Un garde forestier est retrouvé mort dans la rue, un sabre planté dans la poitrine. Mais la rigidité cadavérique a été tellement rapide que le corps n’est pas tombé au sol. Le mort est toujours debout, une jambe levée et les bras écartés. De plus, le sabre qui a traversé le torse de la victime a mis tout en œuvre pour éviter chaque organe vital. Au-delà, un témoin qui se trouve être le frère de la victime explique aux deux inspecteurs chargés de l’enquête qu’il est peut-être le meurtrier.

Si vous êtes fans de romans ou de films absurdes et délirants genre Monty Python, alors vous allez vous régaler avec cet ouvrage qui vous entraîne en absurdie pour un thriller totalement loufoque qu’il est aussi inutile qu’indispensable comme l’aurait dit un certain Coluche.

‘L’énorme enquête’, de Lorrain Oiseau et Yann Rambaud

SOLEIL

‘Le retour de Spring-Heeled Jack’

Sous ce titre se cache le second tome des mystères de Londres et des enquêtes que mène Sherlock Holmes au bord de la Tamise, là où une jeune fille a été retrouvée morte et portant un masque étrange sur le visage. Un élément qui a orienté les autorités locales vers la communauté jamaïcaine de l’East End. Une thèse que dénie fermement notre célèbre détective qui fait alors appel à un spécialiste des masques anciens. 

Mais aujourd’hui, Londres a peur, car la Tamise continue à charrier les cadavres de jeunes filles affublées d’un horrible masque. Les autorités sont désormais sur des charbons ardents suite aux récents méfaits de Jack L’Éventreur. Dans les quartiers de l’East End, les classes populaires commencent à s’agiter en accusant sans preuve les étrangers de commettre ces forfaits. Pour Holmes, le temps presse avant que Londres ne s’embrase. Du coup, son ami Fénéon demande l’aide de ses copains anarchistes. Mais alors que l’étau se resserre, c’est Watson, le célèbre assistant de Holmes, qui se voit rejoint par son passé.

Les auteurs nous plongent avec ‘ravissement’, mais aussi avec un humour sarcastique dans les bas-fonds de ce Londres de fin XIXe siècle. L’intrigue est subtile et bien menée, tandis que le dessin de Suro, surfant quasiment avec le réalisme, est en adéquation totale avec le récit.

‘Sherlock Holmes et les mystères de Londres – Le retour de Spring-Heeled Jack’, de Jean-Pierre Pécau et Michel Suro