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Janette rencontre Aude Gastauer, bonne fée de la césarienne

par Paule Kiénert

11 novembre 2024

Entre 2017 et 2019 au Luxembourg, le taux de césariennes sur l’ensemble des naissances est de 30,5% en moyenne par an. Aude Gastauer, kinésithérapeute spécialisée en kiné périnéale, a fait ce constat auprès d’environ une patiente sur trois ayant accouché par césarienne : elles n’ont pas vécu le plus beau moment de leur vie… Il s’agirait même pour certaines d’un véritable traumatisme. Et s’il était temps de changer la donne ?

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser spécialement à l’expérience de vos patientes ayant accouché par césarienne ?

C’est ce que me racontaient ces patientes qui venaient au cabinet. Jamais une d’elles ne m’a dit qu’elle avait vécu sa césarienne comme une belle expérience. Le mieux que j’ai pu recueillir est : « Ça s’est bien passé. » C’est à dire qu’elles étaient en bonne santé et le bébé aussi.

En revanche, beaucoup disaient : « J’ai raté mon accouchement », « Je n’ai pas accouché », « On m’a arraché mon bébé de mon ventre », « J’ai cru qu’on m’arrachait les entrailles ». Ces femmes qui vivent mal leur césarienne ont aussi des douleurs qui persistent et du mal à se regarder dans la glace, à toucher leur cicatrice. J’ai également recommandé à des femmes de faire de l’EMDR, une thérapie qui traite le syndrome de stress post-traumatique. C’est dramatique dans le cadre d’une naissance qui est sensée être le plus beau moment de la vie d’une femme !

Ce constat a-t-il eu un écho sur la mère que vous êtes ?

Oui, bien sûr. Mais je n’ai pas accouché par césarienne et c’est pour cela que je trouve que je
suis la bonne personne pour me battre pour ces femmes. Je n’ai rien à réparer, ce n’est pas quelque chose de personnel. C’est mon vécu professionnel qui me donne envie d’améliorer les conditions
de naissance. J’ai aussi conscience que mon accouchement s’est passé de manière idéale, parce que c’était mon métier. L’avoir vécu et m’être dit, « là je sais quoi faire », m’a d’autant plus sensibilisée au fait qu’un accouchement, si on le prépare, se vit de bien meilleure manière.

Comment réagissez-vous alors pour venir en aide à vos patientes, ou pour éviter que d’autres vivent mal leur césarienne ?

Quand j’ai constaté tous ces traumatismes, récurrents, j’ai commencé à faire mes statistiques pour arriver à la conclusion qu’à peu près une femme sur trois avait très mal vécu son accouchement par césarienne. Je me suis alors dit que j’avais besoin de comprendre pourquoi tant de mamans me racontaient la même chose et j’ai demandé à assister à une césarienne.

J’ai trouvé cela très bien huilé comme mécanique, très sécuritaire. Il s’agissait d’une césarienne programmée, il n’y a pas eu de stress particulier pour la maman. Le bébé est sorti en bonne santé. Tout le monde était en sécurité, ce qu’il y a de plus important. Mais j’ai vu qu’il n’y avait pas d’émotion forte du côté de la maman et, surtout, ce qui m’a frappée, c’est la facilité. Pendant l’accouchement, les sages-femmes ont demandé plusieurs fois : « Ça va madame ? » Et la maman répondait invariablement : « Oui. » Je peux comprendre qu’une femme tout-à-fait passive pendant une naissance ait ensuite des mots comme : « Je n’ai pas accouché. » Je ne suis pas d’accord avec cela. Je pense que la maman a accouché, elle a fait naitre son bébé. Mais cela m’a fait comprendre le vécu de certaines femmes.

Suite à cette expérience, vous avez décidé de passer à l’action.

Oui, j’ai fait deux choses.

D’abord, j’ai décidé de préparer toutes les femmes enceintes qui venaient à mon cabinet à la césarienne. Je me suis mise à évoquer la possibilité de la césarienne et ce qu’elles pouvaient faire pour être actrices. Maintenir des respirations profondes permet de garder une sécrétion d’ocytocine qui est l’hormone de l’amour, celle qui aide aussi pour le début de l’allaitement; ce qui met
la maman et le bébé dans les meilleures conditions. Je leur expliquais aussi qu’elles pouvaient essayer d’accompagner leur bébé, de pousser leur bébé lors de la naissance pour être psychologiquement active.

La seconde chose, c’est que j’ai cherché sur internet si quelqu’un faisait mieux que cela ! Je suis alors tombée sur le travail du Docteur Bénédicte Simon, obstétricienne à Versailles, qui pratique les naissances naturelles par césarienne. Je suis allée la rencontrer lors d’une formation qu’elle donnait. De nouveau, j’ai voulu assister à deux césariennes avec elle, à Versailles. J’ai remarqué des techniques chirurgicales un peu différentes, mais surtout elle a fait en sorte que la maman soit active. La maman pousse pour faire naitre son bébé à l’aide d’un embout qu’elle prend en bouche. Celui-ci offre une telle résistance que le diaphragme est sollicité. Après l’acte chirurgical, l’obstétricienne ne fait que saisir la tête du bébé et c’est la maman qui, en soufflant dans l’embout, fait sortir son bébé à chaque expiration. Autre différence aussi : l’obstétricienne descend le champ opératoire pour que la maman voie son enfant naitre. On dit toujours qu’on tombe amoureux au premier regard. Là, c’est une manière de croiser le premier regard de son bébé. Sans cela, l’attachement à son enfant peut être parfois compliqué. Enfin, le bébé est déposé sur sa maman pour le peau à peau.

Peu après votre rencontre avec le Dr Simon, celle-ci contactée par une équipe du Kenya pour parler de cette technique de césarienne, vous demande de l’accompagner.

En effet, au Kenya, il n’y a pas de sécurité sociale. Les femmes paient leur chirurgie à l’hôpital. L’hôpital a donc intérêt à ce que les femmes vivent bien leur césarienne pour qu’elles en parlent et ramènent de la clientèle. Ce n’est pas seulement de la patientèle, c’est également une clientèle ! Aussi les mamans qui vivent bien leur césarienne ont tendance à rester moins longtemps à l’hôpital, donc à occuper moins les lits. Elles auront aussi moins besoin d’antidouleurs. Donc l’équipe kenyane y a vu un gain économique évident ! Ce ne devait pas être la seule raison, car l’équipe que nous avons rencon- trée sur place était très humaine.

Nous avons vécu des moments forts, des césariennes pleines d’émotions. Tout le bloc, les obstétriciens, avaient les larmes aux yeux tellement c’était beau et intense.

Est-ce que cette nouvelle méthode d’accouchement naturel par césarienne a été adoptée après votre passage dans cet hôpital kenyan?

Oui, au Kenya, il n’a aucune lourdeur due au protocole. C’est-à-dire que ce qu’on leur a présenté a fait sens pour eux et que les pratiques ont pu changer immédiatement. Je ne dis pas que c’est forcément une bonne chose, parce qu’un protocole est fait pour la sécurité. En Europe, la sécurité prime. Or les changements dont on parle n’améliorent pas la sécurité, ils concernent juste le confort, finalement. Pour une telle raison, les protocoles sont beaucoup plus difficiles à changer chez nous.

Quel est le retour du corps médical chez nous, en Europe ?

J’ai eu des discussions avec des obstétriciens. Il ne faut pas croire qu’ils manquent d’ouverture d’esprit. Mais ils semblaient surpris de mon constat. En effet, j’ai l’impression que les femmes qui vivent mal leur accouchement, leur césarienne, mais qui sont heureuses que leur bébé soit en bonne santé, estiment que le travail a été bien fait et ne parlent pas de leur mal-être à leur obstétricien. Il s’agit d’un véritable problème de communication qui fait que les médecins ne sont pas sensibilisés au fait qu’une partie des femmes ait un problème avec la césarienne. Et c’est pour cela que je vous parle aujourd’hui !

Vous souhaitez faire bouger les choses au Luxembourg. Où en êtes-vous dans votre combat ?

J’ai eu rendez-vous au Chem à Esch et j’ai demandé un rendez-vous dans une autre maternité du pays. Les portes ne sont pas du tout fermées. Prendre en compte la santé mentale est à présent dans l’air du temps, on ne s’arrête plus qu’à la santé physique. Les professionnels que j’ai rencontrés ont envie d’améliorer les choses.

À Esch, ils sont actuellement en train de réfléchir à la manière de mettre cela en place dans l’hôpital. Des choses existent déjà dans beaucoup de maternités du pays également, comme le peau à peau. Pour cela le Luxembourg est d’ailleurs plutôt en avance par rapport aux pays environnants. J’ai donc bon espoir qu’on parvienne à changer les pratiques. Le vrai message à faire passer, c’est qu’avant d’être une chirurgie, une césarienne est une naissance. C’est le moment où une maman rencontre son bébé.

Quel message aimeriez-vous faire passer aux futures mamans qui nous lisent ?

Qu’elles osent parler de leurs appréhensions et de leur mal-être à leur obstétricien !

Quels sont vos autres combats ?

J’en ai plusieurs !

Pour les accouchements psychologiques, j’essaie de propager la biomécanique de l’accouchement. Accoucher sur le dos, les genoux écartés, referme le canal de naissance de 7 millimètres en moyenne. Ce n’est donc pas la manière la plus logique d’accoucher ! Mais comme on voit beaucoup cela, on a tendance à le répéter.

Aussi, je vais ouvrir un espace pour les femmes afin de libérer la parole sur des sujets tabous comme les fuites urinaires, les douleurs lors des menstruations, l’endométriose, le SOPK (syndrome des ovaires polykystiques, ndlr), les inconforts liés à la ménopause ou à la suite d’un cancer du sein ou gynécologique, les problèmes de douleurs pelvienne en général, les douleurs au rapport, notamment suite à un accouchement. On peut améliorer les choses !

A vos agendas !

Documentaire – présentation – discussion : naissance respectée, lumière sur les violences obstétricales 

Dans le cadre de l’Orange Week, une soirée est organisée avec Aude Gastauer et Dr Bénédicte Simon sur les violences lors des accouchements par césarienne et voie basse.
Le 9 décembre à 19h, salle Grand Duc Jean à Schifflange.

Plus d’infos ici

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