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Muse : Niki de Saint Phalle, la révolte par l’art

par Jane Doe

28 octobre 2022

Autodidacte parmi les artistes majeurs du 20ème siècle, avec notamment ses monumentales Nanas, elle a placé sa vie et ses idées féministes et politiques au cœur de son œuvre.

« Mes sculptures représentent le monde de la femme amplifié, la folie des grandeurs des femmes, la femme dans le monde d’aujourd’hui, la femme au pouvoir. » 

Niki de Saint Phalle

Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle naît le 29 octobre 1930 à Neuilly-sur-Seine. Elle est la deuxième d’une fratrie de cinq enfants. Français d’origine aristocratique André Marie, son père, dirigeait une banque à New York, qui sombre dans le krach boursier de 1929. Jeanne-Jacqueline Harper, sa mère, est issue de la riche bourgeoisie américaine. « Niki » passe ses trois premières années chez ses grands-parents dans la Nièvre, avant de rejoindre ses parents retournés à New York.

Niki reçoit une éducation catholique rigoureuse dans une école religieuse. A la maison, elle subit la discipline stricte des jeunes filles vouées à devenir femmes au foyer soumises à leur mari. A 11 ans elle est violée par son père, un traumatisme dont elle ne guérira jamais vraiment, et qu’elle relatera dans son autobiographie, Mon secret (1994). Rêvant de devenir actrice, et en rébellion contre le patriarcat familial, elle pose comme mannequin pour Vogue et Life Magazine, avant de s’enfuir en France avec l’écrivain Harry Mathews, et de se marier avec lui à 18 ans. Ils auront deux enfants, Laura et Philip.

L’art exorciste

À 20 ans, Niki réalise ses premières peintures. Le couple vit à Boston, puis à Paris où Niki étudie le théâtre. Apprenant les infidélités de son mari, elle fait une dépression nerveuse. Lors de son hospitalisation et sa convalescence, Niki trouve dans la peinture une thérapie qui l’aide à surmonter ses démons. Niki décide alors de devenir peintre, encouragée par ses amis artistes. La famille s’installe en Espagne, où elle découvre l’œuvre d’Antoni Gaudí et son Parc Güell à Barcelone. Inspirée par Paul Klee, Henri Matisse, Pablo Picasso et Henri Rousseau, elle trouvera son style avec les travaux de Jasper Johns, Willem de Kooning, Jackson Pollock et de Robert Rauschenberg. A 25 ans, Niki réalise ses premiers assemblages et rencontre l’artiste suisse Jean Tinguely, qui deviendra son collaborateur artistique. Elle se sépare d’Harry pour vivre et partager un atelier avec lui. Elle rejoint aussi les Nouveaux Réalistes, aux côtés d’Arman et de Christo. Fondé par Yves Klein et Pierre Restany, le mouvement prône l’art comme recyclage poétique des objets et du réel urbains, industriels et publicitaires, pour en faire des reliques et des symboles puissants de la consommation.

A 31 ans, Niki acquiert une reconnaissance internationale avec la série Tirs. Lors de ces peintures-performances, l’artiste et le public tirent à la carabine sur un panneau ou des sculptures de plâtre (dont une représentation de la Vénus de Milo) ornés de poches de peintures colorées, qui éclatent sous les balles. Les couleurs dégoulinent alors sur l’assemblage, tels les « drippings » de Jackson Pollock. L’artiste y exorcise ses maux et ceux de la société, tue symboliquement son père incestueux et tout ce dont elle veut se libérer.

Odes aux femmes libérées

Niki entame alors la série des Mariées, des sculptures sombres de dragons, de monstres et d’épouses, dénonçant le mariage forcé et les conditions des femmes. A 35 ans, elle réalise ses premières Nanas, des représentations immenses en polyester, grillage et papier mâché de femmes plantureuses aux habits colorés. Pour la sculptrice, ces Nanas sont « elles-mêmes, libres et joyeuses, libérées du mariage et du masochisme. (…) Elles n’ont pas besoin de mecs. » Révoltée par les violences faites aux Noirs, elle sculpte My Heart belongs to Black Rosy, en hommage à Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale dans les années 1950. A 36 ans, elle crée avec Jean Tinguely Hon (« Elle » en suédois), une femme monumentale (28 mètres de long, 6 de haut, 9 de large), couchée sur le dos avec les jambes entrelacées, dans laquelle les visiteurs pénètrent par l’entrejambe pour y découvrir plusieurs pièces réalisées par l’artiste (Moderna Museet, Stockholm).

Jardins artistiques

Niki continue à travailler avec Jean sur des projets monumentaux, comme Le Paradis Fantastique – neuf sculptures monumentales animées (Stockholm ) – Le Jardin des Tarots (Toscane) ou La Fontaine Stravinski (Paris). Elle est exposée aux vapeurs toxiques de la résine polyester, qui endommageront gravement ses poumons et entraîneront des problèmes de santé récurrents. Elle réalise aussi des films : comme Daddy (1972), un règlement de compte psychanalytique basé sur sa propre relation avec son père. Durant l’épidémie de SIDA elle crée d’immenses phallus colorés, incitation à utiliser des préservatifs. À la mort de Jean Tinguely en 1991, elle fait reconnaître l’œuvre de Jean et participe à la création du Musée Tinguely de Bâle. Parmi ses dernières œuvres, elle transforme et décore pour l’Expo 2000 une grotte du Grand Jardin de Herrenhäuser à Hanovre. A 71 ans, Niki décède à San Diego de complications respiratoires liées aux vapeurs toxiques inhalées.

Anecdote

La Ville de Luxembourg a acquis en 1995 La Grande Tempérance, une Nana de Niki. Elle figure aujourd’hui dans le parc de la Villa Vauban.

Biographie

  • 29 octobre 1930 : naissance à Neuilly-sur-Seine
  • 1933 : rejoint ses parents à New York
  • 1948 : fuite à Paris et mariage
  • 1953 : choisit de devenir artiste
  • 1961 : premières séances de Tirs
  • 1965 : débuts des Nanas
  • 1966 : Hon
  • 1967 – 1971 : Paradis Fantastique
  • 1983 : Fontaine Stravinsky
  • 1993 : Jardin des Tarots
  • 1994 : autobiographie Mon Secret
  • 21 mai 2002 : décès à La Jolla (San Diego, Californie)